Le virtuose de l’avant-folk psychédélique joue sur ce huitième opus avec une nouvelle potion de magie noire : la distorsion électrique. Peut-être bien son meilleur album à ce jour.
Au-delà du carcan « avant-folk », Ben Chasny alias Six Organs of Admittance, est devenu avec quelques albums sans concessions, l’un des activistes les plus chevronnés du paysage underground US. Ces multiples apparitions au sein de formations allant du combo acid-rock Comets on Fire, au mutisme psychédélique de Badgerlore, en passant dernièrement par Current 93, n’ont toujours pas altéré son incroyable prolixité artistique. Au contraire, Chasny fonctionne comme une machine recyclant toute matière sonore à portée de main pour les traduire dans ses divagations en solo. Il en résulte une oeuvre solide, d’une rare cohérence et dont on peut suivre au fil du temps les cheminements avec enthousiasme.
Le second album de Six Organs of Admittance pour Drag City – et huitième en tout – confirme encore une fois cette vorace capacité d’assimilation. Son prédécesseur, School of Flower, bénéficiait pour la première fois d’une production « studio ». Ce nouvel opus franchit un nouveau palier dans ce domaine. The Sun Awakens est peut-être même son meilleur album à ce jour, tant la richesse des approches et la beauté des compositions subjuguent. La liste sur les crédits est plus fournie, partagée entre amis illustres inconnus et compagnons de la première heure : Tim Green de The Fucking Champs et Noel Von Harmonson de Comets On Fire sont des camarades de jeux réguliers, déjà volontaires du temps des glorieux LP enregistrés sur quatre-pistes.
Si l’on s’étonne d’entendre que la guitare électrique a cette fois pris le pas sur l’acoustique, il faut tout de même insister sur le fait que l’instrument a toujours occupé une belle place sur ses disques par le biais de sombres soli cosmiques. Entre les mains de Ben Chasny, la saturation (qu’elle soit électrique ou via ses performances acoustiques scéniques) devient un effrayant véhicule d’introspection pour ébraser ses hallucinations acidulées. Le mur de fuzz ahurissant érigé sur “Black Wall”, certainement son morceau le plus rock à ce jour, démontre à quel point Chasny maîtrise les possibilités du larsen électrique. “Attar”, dont le titre est tiré de l’ouvrage antique Perse Le livre de l’épreuve qui raconte « le voyage initiatique de l’âme en quête de l’Unité », est un nouveau blizzard où s’inflitrent des drones terrifiants.
Sur les « compositions » plus éthérées, on retrouve des fragments égarés du sublime For Octavio Paz, et les vocaux obsédants de Compathia (« Bless Your Blood »). Les thèmes jumeaux de “Torn By Wolves” et “Wolves’ Pup” évoquent notamment la mélancolie aride d’un Tortoise. “The Desert Is A Circle” apporte une couleur inédite au travers de sa guitare lead reproduisant les célèbres épopées mélo d’Enio Morricone sur Le bon, la brute et le truand – à moins que ce ne soit un lointain souvenir de musique bohémienne.
Pièce de résistance du disque, “River of Transfiguration” – un titre qui résonne comme un hommage au roi John Fahey – s’étend sur presque 24 minutes. Puisant dans ses enseignements retenus du projet August Born avec Hiroyuki Usui (membre de Fushitsusha), Chasny parvient à s’engouffrer dans une brèche intemporelle, un univers de chaos sans aucun point harmonique d’attache. De cette montagne sacrée se répand un souffle menaçant, d’apparence industrielle, qui se mue peu à peu en larsen grave et pesant. Intense noirceur atmosphérique et rythmiques désorientées sont par moments rejoints par quelques choeurs chamanes apportant une touche mystique à ce canevas indescriptible. On ne voit que le dernier album de Scott Walker pour tenir tête à une telle noirceur viscérale. Mais qu’on ne se trompe pas : cet univers de désolation n’est qu’une infime facette provenant du subconscient génialement perturbé du gourou.
– Le site de Six Organs of Admittance