L’icône new-yorkaise de toute une génération de loosers magnifiques a revêtu son plus beau costume de crooner : une Jacket full of danger du plus bel effet.


Dès les premières notes de « Pay the toll » qui ouvre ce quatrième opus, on se dit que, décidément, Adam Green en fait des tonnes. L’exercice ressemble en effet à une micro-parodie d’un de ces chanteurs langoureux qui troublent les jeunes filles et les vieux garçons. Une ballade comme on en fait plus, lointain écho du Death of a ladies man de Leonard Cohen. Adam Green pose sa voix de velours, ronde et grave, sur des arrangements sirupeux : violon, guitare, et une batterie au son seventies. Une fois dépassée cette impression étrange – à mi-chemin entre surprise et agacement – il reste que cette voix, à la maturité étonnante, se fait plus caressante que jamais.

A l’image de cette ouverture décalée, Adam Green parcourt ces quinze vignettes (qui ne dépassent jamais la barre des 3 minutes) en injectant à ses compositions cette distance caractéristique de ceux qui ne se prennent pas au sérieux. Car ce qu’on aime chez Adam Green, c’est ce perpétuel mélange de zèle et de je-m’en-foutisme, de bohème et de mauvais goût, d’inertie et de productivité : 4 albums solo du haut de ses 25 ans, sans compter sa carrière au sein des Moldy Peaches. Une alchimie qui opère une fois de plus dans Jacket full of danger, d’autant que ce dernier se distingue par une certaine unité : rien de totalement indigent donc. Adam Green a su éviter, cette fois-ci, la faute de goût irrémédiable qui tire un album vers le bas. Néanmoins, cet album comporte quelques moments purement anecdotiques, que ce chanteur décalé affectionne tant : des arrangements désuets et quelques textes (un peu) tordus ou vaguement neuneu qui rappellent à l’auditeur le goût prononcé du chanteur pour les plaisanteries douteuses et autres provocations gentillettes (« I like drugs ! » clame t-il sur « Drugs »).

Avec « Hollywood bowl » par exemple, Adam Green passe à la vitesse supérieure du kitsch assumé : une sautillante ballade sur une musique qui n’a rien à envier à la douce folie d’un Neil Hannon. Sans tomber dans cette folie des grandeurs toute décadente, beaucoup de morceaux relayent un certain répertoire de crooner : on y parle d’amour, de Cadillac, de vacances, de clair de lune, le tout sur des arrangements sucrés (piano, violons, guitare sèche). Un résultat parfois mièvre qui étonne pour cet ex-représentant de l’anti-folk, mouvement des troubadours modernes aux arpèges épurés. Ainsi, sur « Party line », il s’approprie les orgues seventies pour un résultat plutôt convaincant. Sur « Jolly Good », Green louche vers la pop légère teintée de country, tandis que sur « Drugs », il joue la provoc’ via une apologie usée jusqu’à la corde (« I like to do drugs, I like to hold a cigarette full of grass in my hand »). Autant d’exemples où Adam Green revêt l’habit d’un chanteur/charmeur définitivement à côté de la plaque. Bien connu pour son humour pince-sans-rire, il laisse timidement transparaître son amour des histoires excentriques dans « Hairy women », sur la condition des femmes à la pilosité pour le moins embarassante. Un texte décalé, certes, mais plutôt en retenue, pour un artiste qu’on a déjà connu bien plus acide. Sans doute son nouveau rôle de crooner lui souffle t-il une certaine modération dans ses propos.

Pourtant, c’est lorsqu’il s’éloigne de cette étiquette fraîchement conquise qu’Adam Green devient plus intéressant. Laissant tomber le masque d’un second degré parfois maladroit, il séduit grâce à une orchestration plus épurée qui met particulièrement en valeur sa voix, à la manière d’un Stuart Staples ( “Novotel”, “Cast a shadow”, “Vultures”). Ou lorsque, faisant fi de son flegme naturel, il apprivoise un format plus rock (l’endiablé “Nat King Cole” ou “Hey Dude” sensuel et viril à la fois). Jacket full of danger voit en effet cohabiter, aux côtés d’une pop suave et décalée, des morceaux où semble poindre une certaine noirceur, comme cet inquiétant « C-Birds » à faire pâlir d’envie Nick Cave, avec ses chants tribaux incompréhensibles. Un répertoire diversifié, grave et léger à la fois, qui montre qu’Adam Green a su ajouter une corde supplémentaire à son arc : égérie underground, bourreau des coeurs, et désormais paradoxe vivant.