Ceux qui assistèrent au concert de Susanne Abbuehl,un soir de juillet 2002, dans l’intimiste et chaleureux club de minuit à Vienne, n’auront probablement pas oublié cette voix pure et majestueuse qui prenait l’auditeur médusé par la main pour l’emporter vers des contrées où seule la beauté règne en maître sur les hommes. C’est ému aux larmes que l’on quitta alors la ravissante néerlando-suissesse, espérant son retour au plus vite. Il nous fallu pourtant attendre quatre longues années pour la voir enfin réapparaître avec ce second album, intitulé Compass, en compagnie des mêmes musiciens (Wolfert Brederode au piano et Christof May à la clarinette) que sur l’inaugural April (2001) – à l’exception de Samuel Rohrer (batterie), remplacé ici par Lucas Niggli, et d’un invité de marque à la clarinette, Michel Portal. Les atmosphères en clair-obscur, le doux flottement des instruments, les structures harmoniques circulaires subtilement déconstruites, cette façon unique de poser sa voix et d’en étirer les sons afin qu’ils constituent un ensemble de textures superbement éthérées : l’univers dépouillé de Susanne Abbuehl n’a pas changé, même s’il s’est raréfié et encore distendu. Aux antipodes d’un jazz vocal volubile et emphatique, la chanteuse la plus singulière de sa génération se risque à composer avec le vide, cet infini silence qui enveloppe et redonne leur liberté (leur nudité ?) aux mots. Qu’elle adapte Joyce, Feng Meng-Lung et William Carlos Williams, ou reprenne Sun Ra et Chick Corea, la démarche artistique conserve d’un bout à l’autre de l’album une imprésionnante cohérence et dénote d’un sens poétique inaltérable.

– Le site de Susanne Abbuehl.
– Le site de ECM.