Ce sera assurément l’une des révélations de cette rentrée. Shara Worden crée une symbiose entre folk/rock gracile et symphonie baroque. Un diamant noir qui n’a pas d’emprise sur le temps.


C’est désormais prouvé, écouter la grosse Mariah Carey peut ouvrir des portes vers une carrière dans le milieu folk/rock indie. A toi, fan de rock indé qui te lamente en regardant la collection CDs de ta petite soeur, tout espoir n’est donc pas perdu ! Prenez Shara Worden, la petite protégée de Sufjan Stevens : cette intrigante jeune femme, qu’on croirait sortie d’un conte de Tim Burton, a passé son enfance à écouter les pires divas de la variété américaine qui s’évertuaient à brouiller les ondes radios de Detroit. La musicienne ne s’en cache pas, et affirme que cela fait partie de son processus d’éducation musicale, au même titre que ses cours universitaires de musique classique et activités au sein d’une chorale de chambre.

Mais comment passe-t-on de Mariah Carey à Sufjan Stevens ? Un bien long chemin, il faut le reconnaitre… Ses études terminées, cette fille d’évangéliste a rangé ses partitions de Debussy pour jouer avec la fée électrique au sein d’AwRY. Une aventure qui durera le temps de deux albums autoproduits et un billet sans retour vers Brooklyn. Elle fréquente là-bas les clubs du quartier qui accueillent quelques extraterrestres locaux : Antony & The Johnsons, Nina Nastasia, Rebecca Moore et… Sufjan Stevens. Subjugué par la virtuosié de son falsetto, le folker visionnaire lui offre un pont d’or sur son label Asthmatic Kitty Records, et l’invite à venir chanter sur ses disques, puis à l’accompagner sur la tournée Illinoise.

Echafaudé sur une période d’un an, entrecoupé de diverses sessions, Bring Me the Workhorse est un épatant traquenard harmonique. Considéré par sa génitrice comme un projet solo plutôt qu’un effort de groupe, My Brightest Diamond laboure des terrains mélodieux très arpentés. Ce diamant noir reflète des ballades oniriques qui donnent le vertige, où des cordes de violons fantomatiques traversent des guitares électriques diaphanes. Le tout savamment mixé par Andrew Scheps, qui a récemment décroché le pactole en travaillant sur la moitié du dernier double album des Red Hot Chili Peppers.

Cette alliance rock/classique mystique invoque d’ailleurs un monument du rock qui porte bien son nom… Grace, le chef-d’oeuvre de Jeff Buckley. Les détails sont troublants, mais notons que l’univers de My Brightest Diamond demeure plus noir et indompté que la poésie incandescente de feu Buckley Jr.

Miss Worden laisse libre cours à son imagination fertile en conduisant un trio à cordes, mettant à exécution des frises mélodiques audacieuses à la majesté lugubre. Epaulée par le guitariste/violoniste Rob Moose (officiant également chez Anthony), ses arrangements sont parfois habités de démons baroques (“Something of an End”), ouvrent les grilles du jardin l’Eden (le très Björkien, “Disappear”) ou, dans un registre plus intimiste, secondent humblement une confession folk (“The Good & The Bad Guy”). D’une émotion vocale comparable à l’angelot rock, le vibrato de cette déesse à la chevelure corbeau déchaîne une tempête de sentiments exacerbés. Son registre vocal passe des graves aux aigus et suggère pêle-mêle un état fragile, une douleur inconsolable ou une ferveur embrasée…

Bring Me the Workhorse est pourtant bel et bien un disque de rock, mais un disque de rock où le ton des guitares ne prend jamais le dessus sur les violons, au demeurant solistes incontestés. Ainsi, “Golden Star” et “Freak Out” (celui-ci, Tom Waits ne l’aurait pas renié) libèrent un motif de distorsion dès les premières mesures, mais prend très vite de la hauteur vers la rédemption, absout par un archet sacré. Seule exception, l’agité “Magic Rabbit”, où un violoniste confond son instrument avec une Les Paul (ce qui donne au final un morceau très Led Zep, vous vous en doutiez).

Et ce déferlement de mélodies de voltige n’est pas près de cesser. Sarah Worden a enregistré quasiment simultanément un second album, A Thousand Shark’s Teeth, où elle est cette fois uniquement accompagnée d’un quintet à cordes. On attend cela avec impatience.

Qui aurait cru un jour qu’une telle situation se produise ? Nous devons une fière chandelle à Mariah Carey.

– Le site de My Brightest Diamond

– La page myspace