Rock en Seine. 4ème. Le massif festival parisien s’impose depuis deux ans comme une étape cruciale du calendrier estival. Pour beaucoup de franciliens amateurs de musique, le rendez-vous coïncide avec la rentrée, moment de répit avant la reprise et la déprime « post-vacances » de septembre. Durant deux jours, le domaine verdoyant de St Cloud situé au bord de la Seine devient alors le théâtre d’un véritable champ de bataille sonique, réparti en trois programmations parallèles. Une énorme machine de guerre orchestrée cette année par des généraux au nom prestigieux : Radiohead, Morrissey, Beck…


Les portes du domaine de St Cloud s’ouvrent à 15h et c’est le trio australien Wolfmother qui a l’honneur de recevoir les premiers visiteurs sur la scène de la Cascade, seconde en terme de capacité d’accueil sur les trois installées. Propulsé par une sono qui crache des riffs énormes, le puissant combo du brailleur/guitariste Andrew Stockdale s’attire les faveurs du public avec un hard rock rétro 70’s remis au goût du jour. Leur répertoire finement ciselé revisite le catalogue intégral de plans Led Zep/Who tout en se permettant quelques échappées free rock. Soucieux d’être à la hauteur de leurs pairs malgré leur manque d’expérience, le gringalet Andrew Stockdale – dont la coupe afro massive rapelle l’allure d’un coton tige – pèche un peu par son jeu de scène maladroit en dépit d’effort évidents. Ses gigantesque moulinets de bras, à la Pete Townsend, avant de reprendre l’attaque en grattant avec application les cordes frisent le ridicule. Ces accumulations de clichés attachants laissent tout de même un bon souvenir et nous met en jambes pour le reste de la journée.

Le trio australien Wolfmother en ouverture du festival.

C’est ensuite au tour des desperados de Calexico d’inaugurer la scène principale. Vétérans de la cause rock, les anciens compagnons d’Howe Gelb n’ont jamais déçu sur scène, et ce n’est pas leur superbe dernier album Garden Ruin qui changera la donne. Le sextet ultra expérimenté nous fait une démonstration magistrale, agrémentée de mariachis, trompettes enivrantes et guitares espagnoles ensorcelées. Grand moment, une reprise de Love, “Alone Again Or”, en hommage à Arthur Lee qui nous a quitté ce mois d’août. Mémorable.

Chaque année à Rock en Seine, il y a toujours un moment dans le milieu d’après-midi où il ne se passe pas grand-chose dans la programmation. C’est l’occasion pendant une heure de recharger les batteries ou de s’approcher des diverses animations et stands extra musicaux. Il faut savoir qu’entre le parcours de la grande scène et des deux autres s’est installé une véritable foire du Trône. Le nombre de stands a encore augmenté cette année et brasse très très large : téléphonie mobile, Playstation, bus Coca-Cola, bar à vin pour fin gourmet, on peut même s’offrir du thé vert, des jus de fruit frais, et des pâtes… Le Bon Marché n’a qu’à bien se tenir ! Même les vendeurs de Kebab n’en reviennent pas, c’est dire. Le pompom revient cette année au stand Levi’s, dont la façade ressemble à s’y méprendre à un train fantôme : à l’intérieur, un artiste (?!) peint en direct des jeans vendus à des prix exorbitants.
Et oui, Rock en Seine, est un endroit tendance où les « Beautiful people » de la capitale se doivent d’afficher leur trogne. Certains débarquent habillés comme des ducs, puis pleurent lorsque, horrifiés, ils découvrent la marée de boue pratiquement impossible à détourner pour assister aux concerts. Remarque : certains se contentent de rester dans l’espace VIP… Néanmoins, l’endroit est un excellent baromètre pour se faire une idée sur les tendances vestimentaires « rock » de l’automne. Avis aux suiveurs, le jean cousu « peau » tendance Ramones revient en force !

Le stand Levi's s situé dans la zone

Il est 17 h, et le gentil trio Nada Suf investit la grande scène. C’est l’occasion de prendre un bain de foule pour se rapprocher des premier rangs, chose qu’on n’avait jamais faite. En effet, le côté droit de la scène toujours plus clairsemé, restait notre plan de vu préféré. Leur power pop sentimentale est simplissime mais leur répertoire est suffisamment solide pour tenir en haleine durant presque une heure. Et puis la générosité qui s’inscrit sur leur visage ne trompe pas le public.

Nous les quittons avant la fin du show pour rejoindre à l’autre bout du parc la scène de la cascade où la sensation indé Clap Your Hands Say Yeah ! s’y produit. Si leur rock déluré avait un certain charme sur disque, leur prestation est carrément catastrophique. Le quintet de Brooklyn est bordélique (pour ne pas dire amateur), noie son manque de cohésion dans un déluge de saturation suraigu qui ne fait qu’aggraver la situation. Même leurs morceaux les plus irrésistibles sur disque deviennent un véritable calvaire à écouter. Ne parlons même pas de leur façon de bouger sur scène, inquiétante (seraient-ils détenteur du chromosome 21 ?). Immense déception.

La série des catastrophes continue avec les Dirty Pretty Things de Carl Barât qui ne fera guère mieux que son ex frérot Pete Doherty l’année dernière. Le bras en écharpe, confisqué de sa guitare, le « pouet » bohème interprète en compagnie de ses nouveaux copains un rock désaccordé ambiance Clash de la première heure, sans l’âme. Serait-ce le début de la descente aux enfers ?

On fuit comme la peste ce festival de guitares – et de fausses notes – pour traverser encore une fois Luna Park et faire connaissance avec les Lads de Kasabian (scène de la cascade). Venus remplacé au pied levé Richard Ashcroft, ces descendants directs des Happy Mondays nous font la primeur de leur second opus Empire, qui fait suite au carton de leur premier album. L’opinion du disque que l’on s’est déjà faite se confirme sur scène : hormis le single “Empire”, les nouveaux titres sont moins immédiats, mais leur performance reste de haute tenue. Ceci dit, nous avons peut-être percé le secret de ce chant british arrogant : le chewing-gum, que le chanteur mâchouillera pendant tout le set.

Les lads de Kasabian sur la scène de la cascade.

20h25. C’est la première fois que l’on assiste à un tel débordement de foule sur la petite scène de l’industrie. Une bonne nouvelle qui nous réconforte dans le fait que le rock visionnaire de TV on The Radio peut susciter de l’engouement au-delà des sphères musicales spécialisées. Le quintet explose sur scène les barrières de son univers afro/electro/garage façonné par les harmonies vocales du duo Tunde Adebimpe et Kype Malone. Certaines chansons sont méconnaissables entre les mains du sorcier David Andrew Sytek, la scène se transforme en un terrain d’expérimentation permanent ou pas moins de deux guitares sous haute influence shoegazing se charge de façonner leurs beats tribaux. Duo de Human Beat box et chaos sonique spirituel font ici bon ménage. Le séisme de la journée.

L’autre grosse attente de la journée fut certainement la venue de The Raconteurs. On pensait que ce diablotin de Jack White était incapable de rocker sans sa sœur Meg. Faux : The Raconteurs ne nous raconte pas des bobards. Accompagné du discret Brendan Benson et de la section rythmique étalon rock The Greenhorses, leur montée sur scène ne manque pas d’allure sur fond de BO de Western Spaghetti sauce Morricone. C’est la tombée de la nuit, le light show est surpuissant et sert bien leur garage rock vintage. La qualité de performers du duo Benson/White parvient à rehausser l’intérêt de leurs compositions un peu plates sur disque, surtout lorsque vient le moment de reprises soigneusement choisies (David Bowie, Nancy Sinatra). Les deux voix peu dissociables sur l’album se font également plus distinctes et les duels de guitares plus fréquents. The Show Must Go On…

Enfin il est 22h15 lorsque son haltesse Morrisseydésormais sans les Smiths », nous informe un journaliste de Metro visiblement très bien renseigné ! ) salue le public escorté de ses Boys. Le Glam Rock inaugural de “Panic” revisite avec puissance l’histoire des Smiths, tandis qu’un portrait gigantesque d’Oscar Wilde, éternelle idole du Moz depuis ses débuts, trône au-dessus de la scène. Hormis l’ordre des chansons modifié et un set plus court (1 heure), peu de nouveautés sont à noter, comparé à la prestation déjà bien huilée de l’Olympia en avril dernier. Le charismatique égosilleur joue parfaitement son rôle de crooner autoparodié (son fameux « Je suis Jean Gabin »). Il faudra attendre la fin de la soirée pour que deux surprises soient lâchées : “Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before”, et le traumatisant “Now My heart Is Full”. Les dévots se prosternent. Rideau.

Vendredi 25 Août

Il est évidemment difficile d’établir un compte-rendu complet du festival en raison du programme des groupes qui se chevauchent. Néanmoins, il y a un rendez-vous qu’on ne manque jamais, où que l’on se trouve sur le site : la pluie. Celle-ci a précédé l’impressionnant collectif canadien Broken Social Scene. Mais les vétérans post-rock sont tellement captivants que la pluie n’aura pas raison de leur prestation. Le noyau de six musiciens sur scène (trois guitares apocalyptiques !) est fréquemment rejoint par des intervenants le temps d’une chanson et procure une ambiance de fête à ce maestria sonore. On ne pouvait pas mieux commencer la journée. Du coup, le mauvais temps, impuissant devant tant de beauté, nous quitte en même temps que l’ovation donnée au groupe.

Sur la grande scène, le rock émo burné des New Yorkais de Taking Back Sunday est plutôt bien goupillé. Inconnu en France, le gang a visiblement une grosse expérience de la scène : un sens du show, des riffs pesants servant des jolies mélodies et exécutés avec ferveur, mais tout cela est un peu trop clinquant pour personnellement nous rallier à leur cause. Un petit détour vers la cascade pour Zieuter le folk-afro de Xavier Rudd et son arsenal impressionnant d’instrumentaux tribaux avant de retrouver nos héros « bleus » du jour : les versaillais de Phoenix. En vrai supporter nationaux, l’équipe de Rock en Seine leur a réservé la scène principale, et le quatuor (augmenté d’un clavier/bidouilleur à la belle crinière et d’un batteur compact) s’en montre à la hauteur, visiblement très content d’être là. Leur recette composée de rock nostalgique et tempo dansant passe l’épreuve scénique avec brio. Les hymnes de leur troisième album It’s Never Been Like That n’ont aucun mal à tenir la distance avec leurs hits du premier album. A l’autre bout du festival, la diva punk Skin, (ex Skunk Anansie) est dominatrice sur scène, mais son rock n’roll glisse sur nos oreilles comme la pluie percute un pare-brise à 160 km/h. Sans conséquence et anecdotique.

Retour sur la grande scène. Le chemin est toujours aussi long pour traverser le site, (la première journée nous a même filé des crampes dans la nuit !). Cher équipe de Rock en Seine, pourriez vous mettre à notre disposition pour l’année prochaine des voitures de Golf ? Heu, c’est peut-être pas une si bonne idée que ça…

The Dead 60's sur la grande scène.

18h20, les garnements de The Dead 60’s s’approprient la grande scène avec leur revival à la « Sandinista ». Leur premier album ne m’avait déjà pas fait grand effet, les deux nouveaux morceaux laissent entendre un second album plus consistant. Wait and see… Place ensuite aux sensationnels The Rakes. Ces racleurs de guitare électrique font de gros ravages avec leurs hymnes dansant post-punk. S’il n’a pas eu l’honneur d’investir la grande scène, le quatuor (augmenté d’un discret clavier) a carrément provoqué une mini émeute avec leur “Open Book”, véritable hymne indie de cette coupe du monde de Football (grâce à Zizou qui a pris, non pas le train, mais le bus en marche). Curieusement, leur guitariste ressemble de manière troublante à Neil Hannon de Divine Comedy…

C’est ensuite au revenant (déjà présent il y a deux ans) Beck Hansen & sa compagnie de nous offrir le concert le plus original et poilant vu à Paris depuis Le grand orchestre du Splendid et sa « Salsa du Démon ». Semblable à un Dylan de retour de la Havane, le folker chimiste est imperturbable derrière son micro tandis qu’un danseur effectue des cabrioles derrière lui. Un théâtre de marionnettes à l’effigie du groupe a été installé sur la scène. Et ce n’est pas tout, des vidéos tordantes de leur trip parisien de l’après-midi sont diffusées pendant le spectacle, nous filant encore le sourire rien que d’y penser… On en oublierait presque la musique et le flop de son album Guero.

The Rakes

Peu de monde s’amasse pour les lugubres Editors (on est quand même allé faire un tour, pour avoir bonne conscience), et chacun préfère garder son bout de pelouse pour le concert imminent de Radiohead.

Un rassemblement tellement massif qu’il déborde presque sur les stands de Kebabs situé à 200 mètres. Certains tentent de grimper dans les arbres pour voir quelque chose, mais ne tiennent pas longtemps sur les minces branchages, délogés par la sécurité. 21h35. Avec cinq minutes de retard, le quintet légendaire d’Oxford fait son entrée sur le riff monstrueux d’“Airbag”. C’est une véritable armada pyrotechnique qui se met en place, à faire pâlir la dernière tournée de Pink Floyd : un feu d’artifice de lumières et des mini caméras entreposées un peu partout filment en permanence le groupe, retransmis en direct sur écrans géants. Quant à la prestation, elle alternera entre passion… et ennui. Des trois performances du groupe auquelles il m’ait été donné d’assister, (le Zénith pour la tournée Ok Computer et Le Grand Rex, juste avant Kid A), celle-ci restera comme la moins sur la brèche, la plus prévisible (pour ne pas dire routinière). Plusieurs titres post Kid A traînent en longueur ou donnent le sentiment d’une démonstration en 5.1 de clignotements sonores. Plus étrange, les vieux morceaux restent fidèles aux versions originales, sans souci de renouvellement scénique. Etonnant pour un groupe qui n’a cessé de se réinventer tout au long de sa carrière. On fait évidemment la fine bouche, mais un concert de Radiohead demeure une expérience unique, ne serait-ce que pour la flopée de classiques déversés (“Karma Police”, “I Might Be Wrong”, « Pyramid Song », “Paranoid Android”, “Fake Plastic Trees”, “The Bends”… ). Et puis Thom Yorke, plus à l’aise que jamais, gesticule comme une puce dès qu’il a la possibilité de lâcher un instrument. Les quatre nouveaux titres, dont deux au piano vraiment sublimes, laissent présager une orientation mélodique et « organique » (comme si bien souligné sur le comte-rendu du Pukkelpop) plus évidente pour le prochain album. Phil Selway, au chômage technique depuis 6 ans, devrait donc reprendre du service. Il est 11h25, Le quintet quitte subrepticement la scène, presque à la sauvette, après une version déchirante de “Karma Police” (mais peut-il en être autrement ?). Lumière.

Les très attendus Radiohead en clôture du festival.