Cette jeune femme propose un maelström hip hop soul & jazz du meilleur effet, à même de réécrire l’histoire du R & B. Il faut juste être patient.


Comme le titre de l’album et la pochette le laissent deviner, la musique de Georgia Anne Muldrow évolue dans des styles fragmentés, picorant ici et là les ingrédients de sa recette interne. Dès le titre d’ouverture, « New Orleans », sur l’ouragan Katrina, que l’on pourrait qualifier par ailleurs d’ode au talent d’Alice Coltrane et de sa vision si particulière du free jazz, on sent que l’on va en avoir pour sa curiosité. Le spoken word d’un Saul Williams est ici clairement à l’honneur, avec des orchestrations qui viennent souligner un trait déjà pourtant très marqué par le ton et les paroles engagées (outre la catastrophe en Louisiane, elle va même jusqu’à nous parler de la guerre au Soudan).

Jeune femme de 22 ans, Georgia Anne Muldrow est ambitieuse et douée. Elle a de qui tenir : son père conçoit des instruments pour Eddie Harris pendant que sa mère tourne avec Pharoah Sanders. Faisant ses premières armes dans le milieu hip hop (notamment chez Sa-Ra et Platinum Pied Pipers), c’est grâce à Peanut Butter Wolf qu’elle signe un contrat chez Stonesthrow records (une première pour le label qui ne compte jusqu’alors aucun artiste féminin). Forte d’un premier EP, The Worthnothings, elle enregistre cet album en maître d’oeuvre : elle y chante, bien sûr, mais s’occupe également de toutes les parties vocales (il y a au pire deux pistes de choeurs à la fois) et, comme si cela ne suffisait pas, produit le tout.

Comme l’intérieur de la jaquette nous le souffle (des racines d’arbre), les roots 60’s et 70’s de toutes les musiques black sont ici exploitées : hip hop, soul, jazz, groove, funk… En y injectant un parfum nouveau, elle s’apparente à maints égards à l’effervescence créative de TV on the Radio. La rythmique, classique ou recherchée (« Wrong way », « Lovelight », « Birds »), forme la chape de fond de tout l’édifice, dont les morceaux seraient autant d’étages invitant à la visite tantôt amusée, tantôt séduite.

Forte d’un organe vocal polyphone, Georgia exploite toutes ses possibilités : d’un chant aérien à la Chaka Khan à un parlé chanté cru ou léger, d’une oraison émouvante à la Erikah Badu à des vocalises jazzy. Pour ce qui est du hip hop, on est proche de The Roots (sic) mais aussi de Missy Elliot (« West Coast Recycler »), c’est dire la variété de la palette.

Le disque demande une écoute plutôt poussée avant de se faire une idée précise, tout en n’étant pas encore persuadé d’y être arrivé. En effet, la complexité et la variété, dans les titres eux-mêmes, sont autant d’exploitations de toutes les potentialités qu’offrent les styles cultivés. On se balade sur le disque comme on le ferait à une exposition luxuriante, sans jamais tomber non plus dans l’excès. Serait-ce pour cette raison que le titre le plus apprécié, « Patience », est aussi le plus calme et le moins foutraque ? Ce semblant de fouillis – mêmes si on sent bien derrière un travail de fourmi -, réservant la découverte encore et toujours de galipettes et de sonorités nouvelles au gré de chaque écoute, font de cette dernière un plaisir qui en devient comme une récompense, autant pour l’artiste que pour l’auditeur.