The Mars Volta est bel et bien l’architecte rock des années 00. Injectant sa dose d’expérimentations jazz, le groupe est en train d’écrire le rock. Ne vous en rendez pas compte dans dix ans !


Dans la maison (merci les subsides – nan, c’est une blague) qui nous sert de repère de rédaction, il y a une énorme affiche nous rappelant toujours qu’envers et contre tout un groupe restera au-dessus du lot : The Mars Volta. Vincent est allé jusqu’à allumer un cierge devant ce poster à chaque nouvelle sortie d’album, rituel qui est devenu pour lui une raison de continuer (du chroniqueur s’entend). Comme toute religion, il y a les croyants et les autres.

Votre serviteur voulait se situer, modestement, dans la position de l’observateur. Mais force est de reconnaître qu’il a succombé au charme du groupe, surtout depuis qu’un certain John Frusciante collabore à hue et à dia avec Omar Rodriguez-Lopez et Cedric Bixler-Zavala. A court d’arguments in contra, je me suis donc rangé aux côtés de Vincent. Jusqu’au live SCABDATES sorti récemment. Là, devant ce que l’on peut qualifier de capharnaüm extravaguant (pour qui n’a pas assisté à un de leurs concerts), j’ai commencé à douter. Le silence de Vincent n’a été en rien salutaire pour la cause qu’il entend défendre. Etait-il lui aussi sous l’emprise du doute ?

C’est dans ces conditions que débarque Amputechture, rappelant à notre bon souvenir tout le bien qu’on avait pensé de Frances the Mute. Un post-it collé sur le disque par Vincent expose les premières impressions du fidèle : « très cérébral ». Ok, ça peut être négatif, mais positif aussi. Une chose est sûre : ce ne sera pas de la tarte.

La première écoute est assez conforme aux attentes : il s’agit bel et bien d’un fouillis alambiqué, devenu la marque de fabrique du groupe, rappelant en live les débuts de Led Zep. C’est foisonnant, ça part dans tous les sens, c’est vrai, mais on prend son pied, y voyant une belle réflexion sur le monde qui nous entoure.

Le groupe ne commence pas dans la dentelle, et offre dès les premières notes des explorations à la guitare d’une grande complexité. On sent le génie qui se cache derrière ces gars-là, communiquant au rock progressif un véritable souffle novateur et permettant une réécriture complète de tous les standards du genre – qui arrive à se faufiler dans ce labyrinthe que l’on a trop souvent tendance à réduire à Yes et Genesis. Ici, Led Zep et Pink Floyd sont aussi aux rangs des influences, et c’est pour le mieux. Mais ce serait oublier l’essentiel chez ce groupe atypique : il emprunte au jazz, voire au classique, des manières de faire qui font de sa musique un acte parfois inexplicable car rentrant dans les méandres du transcendental.

La symbiose entre les deux têtes de proue est toujours la même, avec Rodriguez-Lopez à la composition et Bixler-Zavala à l’écriture. A la différence des deux précédents albums, il n’y a – une première – pas de trame narrative qui lie les titres entre eux comme les chapitres d’un livre. Non, ici, de leur propre aveu, c’est Twin Peaks qui leur a servi de modèle. Pas seulement. Le monde de la musique a changé, et, pensent-ils, les habitudes de l’auditeur aussi. Aimant picorer ici et là, comme dans un marché, on n’est plus dans l’écoute religieuse d’un album du début jusqu’à sa fin.

Toujours aussi foutraques et ne respectant aucun modèle (si ce n’est le contre-modèle évoqué ci-dessus), le chant se fait parfois distordu sur « Tetragrammation ». Les titres sont longs, comportent des tiroirs et des sous-tiroirs, sont jouissifs à volonté. Ils peuvent paraître à certains brouillon. Ne vous fiez pas à cette première impression. Toute une chronique ne suffirait pas à décrire et décortiquer « Tetragrammation », tant cela va dans tous les sens, avec les cuivres en guise de perfectionnement qualitatif d’envergure. A propos de cuivres, ceux-ci renforcent cette impression d’écouter – aussi – un disque de jazz, tant on sent également que l’improvisation tient une grande place dans le résultat, proche de la transe. Le rock reste tout de même leur fonds de commerce, et le titre “Viscera Eyes”, qui commence pourtant comme un titre electro de Radiohead, est à même ensuite, avec ses riffs redondants, de transmettre la pêche à un mort vivant. C’est probablement aussi l’un de leurs meilleurs titres.

L’espagnol fait encore une fois son apparition sur plusieurs morceaux, renforçant cet aspect schyzophrène auquel on associe le groupe. Par exemple, dans « Asilos Magdalena », une ritournelle à la guitare champêtre vire au cauchemar intergalactique, ou dans « Viscera Eyes », les paroles hispaniques se mélangent à l’anglais. Ce dépistage latin se traduit également par des percussions afro-cubaines dans « Day of the Baphomets ». Pour finir de nous étourdir, le disque se termine avec les sons d’un cithare… quand je vous parlais de religion.

Vincent me disait que cet album enterre toute la production musicale de l’année. Je suis d’accord. Où est-ce qu’on met le deuxième poster alors ?

– Le site de The Mars Volta