Presque dix ans après Lateness of the Hour, l’ex Cardinal renoue avec l’essence de son art. Passé au filtre, ce nouvel album confortera les inconditionnels de cet ingénieux architecte pop, maître des arrangements distingués.


De ses rêves de 20 ans, les choses n’ont vraisemblablement pas tourné comme Eric Matthews l’aurait souhaité, confesse-t-il lui-même dans les notes de Foundation Sounds… mais qui peut en dire autant ? Il y a chez Eric Matthews une condition de « perdant magnifique » qui nous le rend tendrement attachant. Et son talent n’est en rien remis en cause là-dedans. A 37 ans, ce songwriter lettré a débuté une carrière fulgurante avec son acolyte australien Richard Davis (ex The Moles) au sein de l’éphémère mais intemporel duo Cardinal (1994), auteur d’un petit chef d’oeuvre dont les trajectoires pop prenaient l’aspiration juste derrière le folk noble de Nick Drake et les immortels Zombies. L’aventure du duo tourne malheureusement court pour différends caractériels – étonnant lorsqu’on connait la teneur apaisante du disque… Matthews signe ensuite deux albums solo chez Sub Pop, puis disparaît de la circulation, faute d’une reconnaissance publique qui tarde à se manifester. Le mini-LP Six Kinds of Passion Looking for an Exit marque en 2005 son retour en grande forme, malheureusement pauvrement relayé dans les médias. La carrière solo de Richard Davis, dont les deux premiers albums sont vivement recommandés, suivra quant à elle les mêmes aléas.

Foundation Sounds constitue le troisième album d’Eric Matthews en 11 ans de carrière, ce qui s’avère très peu. Le trajet accompli depuis l’inaugural et très réussi It’s Heavy in Here, disque fortuné aux harmonies fouillées et arrangements de cordes Debussyen, a apporté au musicien son lot de désillusions et de frustrations. Foundation Sounds est bien loin de cette pop ambitieuse – certainement pour des raisons financières – mais l’inspiration est miraculeusement restée indemne.

Le titre de l’album, Foundation Sounds (traduction : « essence de sons »), prend alors toute sa signification. Le jargon est à l’origine employé en musique classique pour décrire la section de cordes qui constitue le coeur de l’orchestre. Mais c’est en suivant à la télévision un entretien du compositeur John Williams que le sens des deux mots se révèle aux yeux du songwriter : Foundation Sounds sera une quête vers l’épuration, l’objectif avoué étant d’atteindre une limpidité d’écriture, la quintessence de son style. Le peu de moyens en sa disposition se révèle au final un challenge séduisant. Matthews joue les Macca, son modèle avoué, en pleine séance pour Chaos And Creation In The Backyard. Il s’adonne seul à toutes les parties instrumentales, y compris la batterie. Unique luxe autorisé : un passage de clarinette sur “Star Of The Meltdown” par une certaine Ms. Dolly Mixture. Pour le reste, le musicien versatile contrôle entièrement toutes les étapes d’enregistrement, jusqu’à la production.

L’ex Cardinal est un homme de goût, doté d’une intelligence de composition que l’on retrouve chez très peu de ses contemporains vivants, à l’exception d’un Joe Pernice, Jason Falkner (encore un disparu) ou plus récemment David Pajo. Le contexte serré de la production est ainsi largement compensé par l’art de Matthews de manier avec excellence les tours de langage de la pop. La très raffinée partie de clavecin sur “The Fly” en donne un aperçu éloquent.

Ses folk songs précieuses sont au service d’une voix de velours qui insufflent à l’ensemble un cachet imperméable au temps. L’éperdu “Courage”, recèle une de ses plus poignantes mélodies. “Sounds Of Flight”, plus relevé, laisse échapper quelques strass de distorsion, jamais balourde. “Gold” et “This Chance”, nous gratifient encore une fois de ces trompettes gracieuses (son premier instrument), devenues tellement vitales pour nous depuis “You’ll start a War” des Pale Fontains. Seul inconvénient minime, la longueur du disque (17 morceaux) atteint le palier fatidique d’un CD de 70 minutes. Scindé en deux, le reste aurait pu donner matière à un excellent EP. Mais neuf ans d’absence, il est vrai, ne poussent pas vraiment à l’avarice. Rien de dramatique cependant. Tant qu’Eric Matthews pondra des marches victorieuses comme “All the Clown”, il restera de toute manière dans notre coeur, au-dessus de la mêlée.

– Le site d’Eric Matthews