Quinze ans de carrière, dix albums dont une poignée de chefs-d’oeuvre. On ne sait plus comment vous vendre la chose, donc on ne va pas tourner autour du pot : Joe Pernice est un génie. Amateur de pop d’orfèvre, achetez cet album. Il en va de votre survie.


C’est le cauchemar récurrent de tout collectionneur de disque : l’incendie. Dans un geste désespérément héroïque, vous décidez coûte que coûte de braver les flammes dans la maison avec une couverture pour sauver – non pas le chat – mais votre précieuse collection de vinyles. Dans mon cas, alors que les poutres s’affaissent dangeureusement, je me retrouve toujours face à un dilemme cornélien : épargner du carnage une pauvre poignée de disques. Sans hésiter, je pioche aveuglément dans la rangée alphabétique « L à P » et m’extirpe des flammes in extremis. Derrière un nuage de fumée, je recense le maigre butin : Love, Left Banke, The Millenium, Pale Fontains, Odessey & Oracle, Pet Sounds (par chance, ma concubine les avaient rangés au mauvais endroit) et les deux premiers Pernice Brothers…

Oui, pour Joe Pernice, nous serions prêt à nous jeter dans le bûcher de l’enfer – du moins depuis Overcome By Happiness, fantastique écrin de pop baroque et délicat. Avec ce chef-d’oeuvre, l’ancien meneur des country Scud Mountain Boys s’est métamorphosé en un fin perfectionniste pop et a gagné sa place au panthéon des mélodistes surdoués. Sans négliger sa discographie complète, ce coup de maître impérissable est resté sans suite. Après le notable mais nettement plus rock The World Won’t End, les Pernice Brothers ont engagé une voie plus brute (Your Mine & Ours), puis un essai au budget limité (Discover a Lovely You). Il était temps de revenir aux affaires – les affaires sérieuses, ce qui veut dire adjoint d’un orchestre classique. Les fans se réjouissent d’avance, car ceux-là savent que Joe Pernice n’est jamais aussi éclatant que lorsqu’il se prend pour Curt Boettcher, le nabab 60’s de la sunshine pop officiant derrière The Millenium et Sagitarrius. Cerise sur la pièce montée, ce retour est orchestré par Mike Deming, illustre collaborateur d’Overcome By Happiness. La présence de ce metteur en son discret est un gage de réussite en soi. Outre le chef-d’oeuvre qu’ils ont en commun, Deming s’est également distingué auprès de Silver Jews, The Apples in Stereo, Lilys et le dernier Neal Casal.

Et la réunion tient hautement ses promesses. Live a Little renoue avec cette écriture exigeante qui a fait la renommée des Pernice Brothers. Mais sous ce titre teinté d’ironie, Live a little (trad : un petit peu « live ») n’est pas entièrement dévoué à la cause symphonique. Quelques compositions plus « organiques » s’extirpent du lot. Des rythmiques électriques et solos se taillent la part du lion, bordées de sections de cordes oniriques (“Sommerville”, “Microscopic View”). L’alliance rock/classique évoque évidemment la power pop seventies des maudits Badfinger, notamment la relecture magnifiée de “Grudge F***”, une vieillerie remontant aux Scud Mountain Boys. Calqué sur ce mode, “Cruelty to Animals” est le pic de l’album. Une mélodie au piano souveraine fleurtant avec des cordes obligeantes procure un effet indélébile dans nos neurones. C’est aussi le cas d’“Automaton”, un instantané d’innocence 60’s vampirisé aux Zombies. Seconde grosse claque, “B.S. Johnson”, un hommage au romancier anglais, use d’un élan shakespearien et d’un texte bouleversant. L’espace de 2 minutes et 22 secondes, Joe Pernice est hors de portée.

Sur les thèmes fragiles, le travail de fin gourmet réalisé sur les arrangements symphoniques est un pur régal pour les épicuriens de la pop. Le chant de Joe Pernice y flotte, aussi doux que de la soie. “Zero Refills” exhume cet esprit luxuriant de ces ballades west coast 70’s, tandis qu’“How Can I Compare” concourt avec le raffinement d’un Colin Blunstone en solo.

Avec ce retour en grande pompe, les Pernice Brothers maintiennent leur niveau d’excellence absolue. Cette année, on ne voit que Camera Obscura, comme hypothétique challenger pour atteindre un tel degré de perfection.

– Le site des Pernice Brothers

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