Le solitaire M Ward revient nous titiller les oreilles avec un groupe. Bonne nouvelle, il fait toujours du M Ward. Petit bémol : c’est aussi la limite de l’exercice.


Il y a plus d’un an et demi, je découvrais sur la scène du Batofar à une heure encore raisonnable ce petit homme voûté sur son micro, encombré d’une guitare presque trop grande pour lui, qu’il maniait pourtant divinement bien. Par la petite porte, sans crier gare, M Ward venait d’entrer dans mon panthéon musical.

S’inscrivant dans la grande tradition des troubadours nord américain, ce natif de l’Oregon s’est imposé en quelques années dans un paysage indie rock de plus en plus formaté par un jeu de guitare digne d’un John Fahey ou d’un Richard Thompson et par un net penchant pour la musique des années 40 et 50. Si la maîtrise instrumentale n’est pas étrangère à son style, celle-ci a toujours su se mettre au service d’un songwriting inspiré à l’image de « Transistor Radio », son précédent opus, oeuvre faussement coincée dans une faille spatio-temporelle qui révélait de façon éclatante combien la musique coulait dans les veines de son auteur.

Avec Post War, le style de M Ward ne change pas fondamentalement. Il s’agit toujours du même amour pour le blues séminal, le rock’n’roll old school, la surf music et la variété américaine des années 50. Soit un répertoire intemporel (désuet ?) placé dans l’ombre tutélaire des Roy Orbison, Brian Wilson, Dean Martin et John Lee Hooker. Ce travail de mémoire lui va comme un gant et pour la première fois de sa carrière solo, il l’a réalisé avec un backing band d’exception, composé de membres de My Morning Jacket, de The Decemberists et de The Thermals, suite logique d’une aventure commencée sur scène pendant sa dernière tournée. A ce tableau de chasse prestigieux, il s’offre aussi Neko Case, la chanteuse d’alt-country, venue magnifier en duo une reprise de Daniel Johnston (« To Go Home »). En une petite quarantaine de minutes, tout ce petit monde semble s’amuser joyeusement à regarder dans le rétro et à faire sonner ce disque à l’ancienne, s’offrant un joli bonheur régressif.

Retour en arrière, retour aux sources ou retour à la maison ? Avec un titre pareil («Après-guerre»), la question mérite d’être posée. Impossible en effet de ne voir dans ce choix qu’un hasard alors que les troupes américaines sont encore stationnées en Irak et que le temps commence à leur sembler long. En douze chansons aériennes, ce disque ne fait rien d’autre que leur chanter un bon vieux « home sweet home » à la manière des ces artistes qui passaient les troupes en revue en Corée ou au Vietnam. Fort heureusement, M Ward nous épargne la grandiloquence et les dénonciations, sachant sans doute d’instinct qu’il n’a pas l’âme d’un contestataire comme Neil Young ou Bruce Springsteen. Lui, son truc, c’est la manière douce, la force des sentiments, la nostalgie rassurante. C’est sans doute mieux ainsi, même si le côté « entertainment » de l’entreprise signe les limites de l’exercice.

Que nous propose réellement M Ward avec ce disque irréprochable mais sans surprise ? Sans doute ce qu’il sait faire de mieux à savoir peindre les affres de l’âme humaine avec des teintes sépia. Le disque alterne magnifiquement entre les climats comme s’il sautait d’une humeur à l’autre à coup de fanfaronnades pop (« To Go Home », « Magic Trick », « Right In the Head »), d’épanchements romantiques (« Poison Cup », « Post War », « Chinese Translation ») ou de blues frelatés (« Requiem », « RollerCoaster », « Neptune’s Net »). Ce travail sur la palette chromatique, il le doit en partie au producteur Mike Mogis (Bright Eyes, Cursive, The Faint) et à la délicatesse des arrangements de cordes d’Amanda Lawrence. Il faudrait aussi citer dans son panier magique l’adjonction de rythmiques robustes, d’orgues pluvieux et de choeurs moelleux venus enrichir la partition sans jamais l’alourdir. Sans parler de la vraie poésie dans l’écriture dont la simplicité va droit au coeur. Occupé à guetter des cieux plus cléments avec tous ceux qui en ont besoin, M Ward ne cherche rien d’autre qu’un peu de réconfort. Dans cette optique, aussi inoffensive soit-elle, comment lui en vouloir de faire du neuf avec du vieux et de frotter un peu trop les mêmes cordes sensibles ? Cette cuvée 2006 est excellente si on ne cherche pas à lui prêter les ambitions qu’elle n’a pas. Post War impose un maître de musique, pas un maître de guerre et encore moins un révolutionnaire. Chacun son métier…

– Lire également notre chronique de Transistor Radio

– Lire également notre entretien avec M Ward (mars 2005)

– Le site officiel d’M Ward