Troisième album et troisième coup de maître d’un singer-songwriter américain qui questionne avec talent le passé et met à mal toute idée de conservatisme.


Come Into Our House. Voilà une invitation qu’il nous était difficile de refuser, surtout après le merveilleux Further From Grace, sorti l’année dernière. Le maître de maison, Nicolas Javier Castro, y déployait avec maturité un tel art du débordement stylistique qu’il donnait à son folk – ni vraiment acide, ni vraiment basique – une densité incroyable qui laissait envisager un avenir plus que prometteur. Si, depuis, Nick Castro a délaissé sa formation The Poison Tree (qui comptait dans ses rangs, entres autres, des membres d’Espers et Josephine Foster) pour celle des The Young Elders (composée de dix musiciens, dont cette fois-ci Chris Guttmacher de Cul-de-sac, Joolie Wood de Current 93, le violoncelliste John Contreras et la chanteuse Wendy Watson), l’essence de son univers boisé ne semble guère avoir été perturbée par ce changement de locataires. Mais, plutôt que de reprendre stricto sensu les choses là où il les avait laissées, Nick Castro en propose, avec Come Into Our House, une nouvelle hauteur de vue afin d’en éprouver les fondements.

Particulièrement hospitalière, la maison de Castro est un havre de paix où le temps semble s’être arrêté, une villégiature propice à l’écoulement de sonorités familières, qui se présente aussi comme un dédale de pièces dans lesquelles il fait bon se perdre. En neuf morceaux, le polyinstrumentiste (il joue de la guitare, du piano, de l’orgue, de l’harmonium, de l’oud et des percussions) propose à ses convives-auditeurs la visite d’un lieu chaleureux, une demeure à parcourir qui n’est autre que celle du folk, mais un folk revisité à l’aune de diverses ramifications et filiations. Si “Winding Tree”, le morceau d’ouverture, pourrait laisser croire que Castro se contente de singer une musique folklorique médiévale qui n’en finit plus de faire de nouveaux émules, dès le second titre, le surprenant “Sleeping In A Dream”, l’apport de percussions à mi-chemin vient rompre la logique revival semble-t-il à l’oeuvre pour en imposer une autre, moins attendue, celle d’un déplacement géographique. Car c’est l’Afrique qui est subitement convoquée à travers cette profusion rythmique et qui vient résonner à la manière d’une fugue lumineuse.

Cette première orientation ne restera pas sans suite. Citons pêle-mêle la musique orientale, indienne, le flamenco, et même quelques accents mexicains qui viennent, comme autant de chemins de traverse, faire irruption à l’intérieur des morceaux, d’inspiration le plus souvent celtique, pour en modifier la direction. L’écueil de toute nostalgie béate est ainsi contourné par ces trajectoires multiples, destinées à insuffler une vitalité nouvelle dans cette musique par ailleurs plutôt traditionnelle. La folk de Castro repose sur une série de survivances musicales articulées entre elles qui lui font franchir les barrières de l’espace et du temps, de sorte à ce qu’origine et destinée se confondent. Cette musique peuplée, qui ouvre des portes en oubliant de les refermer, jette des passerelles entre l’ici et l’ailleurs, passé et présent, entre différents styles musicaux pour mieux en définitive les faire (re)vivre. Quelque chose se propage, de l’ordre d’une onde musicale, qui traverse l’épaisseur du temps.

Un superbe instrumental comme “Picolina”, essentiellement construit sur une progression dynamique basée sur l’accumulation d’instruments (un piano, un tambourin, un violon, une flûte et une guitare électrique viennent successivement s’ajouter à la guitare acoustique de Castro), montre bien comment cette musique se fait l’écho d’une vague temporelle qui lentement emporte le morceau, le métamorphose et le mène bien au-delà du simple folk. Plus loin, “Atar” obéit à un principe identique, que l’inquiétant “Voices From The Mountains” radicalise : des notes martelées sur un piano angoissant, des cordes pincées de manière stridente, un tambour lointain d’où semblent s’échapper des coups de tonnerre se fluidifient pour cheminer doucement vers des bruits d’eau, une pluie sonore qui confine à la pure musicalité.

Dans la maison de Castro, les murs tendent à tomber, l’intérieur et l’extérieur à communiquer pour ne faire qu’un. Dans Come Into Our House, chansons et instrumentaux alternent, finissent par se fondre dans un même morceau. Les deux titres qui achèvent l’album, tous deux longs de plus de treize minutes, témoignent de la liberté que s’octroie Nick Castro. “Promises Unbroken”, le dernier et magnifique morceau qui traite du difficile équilibre à trouver entre tradition et modernité, débute sur une tonalité presque abstraite (des notes de piano éthérées, des arpèges de contrebasse et des sonorités dissonantes évoquent en préambule la musique contemporaine), puis la guitare acoustique et le chant de Castro inscrivent ensuite le morceau dans un registre plus folk, lui-même amené à dériver lors de l’apport d’une voix féminine (Wendy Watson), sans que ne soient vraiment rompues « la fluidité et la régularité rythmique de ces mouvements courbes ». C’est en ces derniers termes que Bergson définit la grâce. Une grâce qui en l’occurence, ici, appelle un éternel recommencement.

– Le site de Nick Castro.

– A écouter : “Winding Tree”