Il y a bientôt un an, le jour de Noël, l’immense Derek Bailey s’en allait. To Play est le premier enregistrement posthume du guitariste, sorti à l’initiative de David Sylvian, qui a mixé et produit ce disque. Pudeur et humilité se prennent la main sur ce que l’on devine être, de la part de Sylvian, un sincère hommage au musicien défunt, présent sur trois titres de son dernier album solo, Blemish (2003). C’est d’ailleurs l’ensemble des sessions enregistrées à Londres pour cet album de l’ex-Japan que l’on retrouve dans ce recueil proche, dans l’esprit, du superbe Ballads – oeuvre déjà solitaire où Bailey exhumait des standards oubliés. Sobrement numérotés de “Play 1” à “Play 8”, les morceaux dégagent un sentiment puissant de sérénité, de grandeur ramassée et de profondeur spirituelle qui dénotent de l’accomplissement des oeuvres majeures sur lesquelles le temps n’a pas d’emprise. Sur la pochette de l’album, une photo nous montre Bailey, figé dans la pénombre, tel un spectre nous fixant droit dans les yeux. Une présence habillée d’éternité, qui suggère non le funèbre devenir d’une figure incontournable de la guitare, mais l’absolue inquiétude débordant d’une musique qui ne cessera jamais d’exister et de se métamorphoser. Une musique de rythmes, plutôt que rythmée (on peut même entendre ici un penchant certain pour les rythmes hispaniques), fragmentée, altérée, traversée par des sauts harmoniques suspendus qui ouvrent le temps et imposent leur mesure, tout autant que leur démesure. Une brèche temporelle dans laquelle s’engouffre la mélodie, sinueuse et accidentée, de la vie.
– Le site de Samadhi Sound.