Quatre ans après son retrait, l’ex meneur de Pulp revient avec un album solo qui n’accuse aucune baisse de régime. Le songwriter le plus caustique d’Angleterre est de retour, en grande forme.


A l’aube de la quarantaine, Jarvis Cocker avait choisi, il y a tout juste quatre ans, de tirer sa révérence en sabordant sa superbe locomotive Pulp. Un geste qui ne manquait pas de panache pour un groupe qui n’a cessé de gagner en popularité au milieu des années 90, après une première période confidentielle. Une bonne poignée de classiques ont hissé son groupe au panthéon de l’aristocratie pop anglaise. Mais on n’en attendait pas moins de cette personnalité incontournable. Haï ou vénéré, Jarvis Cocker est incontestablement un trublion génial comme on n’en fait plus. Le moule a été cassé depuis son départ des terres britanniques : parolier hors pair à l’humour décapant, il est aussi capable de monter au front en affichant son postérieur en public pour fustiger Michael Jackson. Et rien que pour ça, on l’aime.

Exilé depuis quatre ans en France, le briton s’est intallé à Paris et a fondé une famille. Dans notre esprit étriqué, il est d’ailleurs curieux d’imaginer l’auteur de Different Class vivre tranquillement sur Paname, lui, pure émanation du Mods version moderne, marrant et cultivé. Et puis ce retour laissait présager quelques craintes : qu’il est dur d’assister à la déchéance de nos figures passées vénérées. La paternité s’accompagne souvent de kilos en trop, de quelques dégarnissements capillaires et d’une baisse d’exigence. Jarvis Cocker, lui, a conservé son allure fluette et ne sait toujours pas parler français !

Cette forme olympique se confirme sur disque. Après quelques collaborations anecdotiques où le briton ne semblait pas trop se mouiller (le duo electro clash Relaxed Muscle, une BO d’Harry Potter, le surestimé album de Charlotte Gainsbourg), Jarvis nous rassure. A quarante-trois ans, l’ex meneur de Pulp veut incontestablement toujours en démordre. Preuve de son excellente santé, le dandy de Sheffield a enregistré le disque en treize jours, entre sa ville natale, Londres et Paris. L’attrait de l’ouvrage est assuré par sa vieille garde, Richard Hawley et Steve Mackey (tous deux une gageure de qualité), ainsi que l’ex-Fat Truckers Ross Orton.

Sans atteindre la dimension majestueuse – niveau production – des deux derniers albums de Pulp, ce baptême solo revient vers une formule plus pop, truffée de titres accrocheurs. Avant tout, c’est un réel plaisir que de constater que le sens de l’évidence pop de Cocker ne s’est pas évaporé durant sa diète de rock star : “Don’t Let Him Waste Your Time”, est chic comme un single de Bowie en pleine phase berlinoise, animée par des trompettes qui font la révérence. “Black Magic” et “Baby’s Coming Back To Me” sont des pop song étranges qui invoquent le Pulp de la première heure. “Fat Children”, une disgression indie rock qui pourrait passer quelconque chez d’autres, devient tout à fait étonnante appropriée par le bonhomme.

L’humeur désincarnée de l’opus posthume We Love Life, produit par Scott Walker, transparaît sur les variations introspectives : une poignante confession au piano, “I Will Kill Again” capable de faire fléchir un terroriste tchétchène ou encore “Disney Time”, symphonie fantomatique où l’on reconnaît dans les arrangements le maniérisme classieux de Richard Hawley. Dans ces moments de fragilité, le garçon à lunette n’a pas perdu de son cynisme british si corrosif. A ne pas manquer non plus, le superbe “Running The World”, attaque en règle contre Bob Geldolf, disponible depuis cet été sur iTunes et qui figure ici en hidden track.

Ce gars avait de la classe. Il ne l’a manifestement pas perdue.

– Le site de Jarvis sur Myspace