Un entretien intimiste avec I’m From Barcelona, imposante chorale indie rock constituée de 29 membres, pourrait relever de la mission impossible. Ce serait un peu comme se pointer à un concert de Motorhead avec un tee shirt de Céline Dion. Heureusement pour nous, le « melting pote » Emmanuel Lundgren est venu seul nous parler du lumineux premier album de son groupe et de ses vibrations positives. Laissez-nous vous faire les présentations…
Emmanuel Lundgren a rajeuni, il vient de raser sa moustache. De passage dans la capitale, il répond lentement mais passionnément à nos questions dans une pièce des locaux d’EMI. Une attitude posée qui contraste avec les quelques vidéos emportées des prestations d’I’m From Barcelona qui circulent sur la toile. Durant tout l’entretien, la ravissante Frida, qui a fait le déplacement en France avec lui (elle fait les choeurs dans le groupe), nous filmera en retrait. Une idée me traverse alors l’esprit : un chroniqueur de la pinkushion team en guise de 30e membre ? En tout cas, tout est possible avec I’m From Barcelona…
Pinkushion : L’histoire du groupe semble tout droit sortie d’un conte de fée. J’ai entendu plusieurs versions, mais pourrais-tu me donner la tienne, la version officielle.
Emmanuel Lundgren : Ha ha… Quelle version as-tu entendu ? ça m’intéresse. Je peux te donner ma version et tu me diras si celle-ci correspond, ok ? L’histoire ressemble à un conte de fée d’une certaine manière car je n’ai jamais pensé que tout ceci deviendrait un groupe. Lorsque j’ai commencé l’été dernier, j’avais un job à plein temps – j’y travaille toujours (ndlr : une boite de création de site Internet). Lorsque tu travailles, tu prévois toujours tes idées en fonction des vacances… Je ne suis pas du genre à aller à la plage, je suis plutôt casanier. Mais j’avais un plan, je voulais rencontrer des amis et aussi enregistrer de la musique. J’ai alors écrit quelques chansons et sollicité des amis de mon entourage s’ils voulaient participer et faire différentes choses. Par exemple cela donnait ce genre de situation :
– « J’ai entendu que tu jouais du saxophone lorsque tu avais douze ans, est-ce vrai ? »
– « oui, c’est vrai. »
– « Peux-tu en jouer sur ma chanson ? »
– « Et bien, je ne me rappelle plus vraiment comment en jouer. »
– « Allez viens, tu peux le faire ! »
J’ai donc recruté beaucoup de personnes qui n’avaient jusqu’ici jamais joué dans un groupe auparavant. Je voulais juste enregistrer un disque au départ mais nous avons finalement donné un concert où nous étions 23 personnes dans un bar minuscule. Et ce fut comme le déclic musical que j’ai toujours recherché. C’était tellement « fun », tout le monde semblait prendre son pied. C’est là, je suppose, que nous sommes devenus un groupe. Certains membres ne se connaissaient pas, d’autres oui. Imagine, je ne pouvais rêver mieux comme groupe : c’est comme si tu connaissais tous tes amis, mais que eux ne se connaissaient pas entre eux. J’ai commencé à les voir se fréquenter entre eux, prendre un café et se refiler leur numéro de portable. C’est vraiment une super amitié qui s’est développée. Alors est-ce que cette version se rapproche de ce que tu as lu ?
A peu près. J’ai lu que tu organisais des soirées chez toi et le moment venu vous décidiez d’enregistrer dans le salon.
C’est en parti vrai. Certaines nuits se sont déroulées ainsi. Pardois, peut-être nous arrêtions nous dans un bar sur le chemin de la maison et je disais alors à mes amis « allons chez moi et enregistrons des guitares » ou quelque chose dans le genre. Mais c’était plutôt comme enregistrer à divers endroits. Je n’ai jamais souhaité monter un groupe, je ne faisais que solliciter des gens. Si j’avais su que tout cela allait devenir un groupe qui part en tournée en Angleterre ou en France, je pense que je ne l’aurai jamais fait, car c’est un travail énorme et ce n’est pas facile à faire. Donc je suis content de voir comment les choses ont tourné.
Tu n’avais pas de contact avec un label durant cette période ?
Non. Nous avons commencé à vendre ensuite nos propres cds, mais c’est devenu tellement compliqué : je pense qu’on a dû vendre un millier de cds par nous-même. Mais ça commençait à devenir fatiguant de coller des timbres sur chaque cd. C’était tellement de travail que nous avons eu besoin d’une maison de disques pour s’occuper de tout ça pour que nous puissions nous concentrer sur les concerts. Je pense qu’on a pris contact avec la maison de disques peut-être deux mois après le premier concert. Les choses se sont déroulées très rapidement.
As-tu eu une expérience musicale avant celle-ci ?
Je joue dans des groupes depuis que j’ai appris à jouer de la guitare à l’âge de 12 ans. J’ai joué dans toutes sortes de groupes, pour des mariages ou dans des festivals de rock. Quelques personnes dans le groupe ont déjà joué dans une petite formation tandis que d’autres, jamais. Si tu les interroges chacun là-dessus, ils te donneront tous une histoire différente. Mais en ce qui me concerne, j’ai toujours été intéressé à jouer de la musique.
Tu viens d’une petite ville dans le sud de la Suède. Il y a-t-il une actuelle scène musicale ou historique là-bas ?
Jönköping est une sorte de petit endroit musicalement. Je veux dire par là qu’il n’y a vraiment qu’un endroit où tu peux aller pour écouter de la musique intéressante. Ce n’est pas une question de quantité, il y a beaucoup de groupes, mais peu sont connus en dehors de la ville. Tu dois probablement connaître les Cardigans, ils sont d’ici. C’est probablement le groupe le plus célèbre.
Maintenant que tu es distribué à travers le monde, as-tu changé des considérations à l’égard du groupe ?
Non. Je me bats tous les jours pour garder l’idée originale de ce groupe. Vois-tu, lorsque tu rencontres des businessmen, ils voient d’abord que nous sommes 29 membres dans le groupe. Mais quand quelqu’un commence à penser à l’argent, tout s’écroule. Ce groupe n’est pas une histoire de music business. J’ai formé I’m From Barcelona car j’étais tellement fatigué de ces groupes qui se prenaient trop au sérieux. Tu sais, j’ai un vrai job, je ne fais donc pas ça pour payer le loyer ou autres. Je le fais pour m’éclater autant que possible. Et … maintenant j’ai oublié la question ! (rire)
Oui, on parlait des considérations originales du groupe.
Oui ! Nous essayons de rester les mêmes qu’au départ. Les gens qui jouent dans le groupe actuellement sont ceux que j’ai rencontrés la première fois pour enregistrer. C’est assez proche de la même idée, du même concept et les gens qui y participent sont les mêmes qu’au début.
Même si tu as signé sur une Major ?
Oui, car ils aiment l’idée. J’ai produit et mixé l’album moi-même, ils n’ont rien changé. Peut-être que tu penses cela du fait qu’EMI est une grosse major. C’est une bonne chance en fait, car ils se concentrent sur les artistes plus faciles à distribuer et nous fichent la paix. Il y a 10 ou 15 ans, peut-être que notre label aurait tenté de changer davantage de choses. Maintenant, avec Internet, les artistes peuvent attirer l’attention sur eux, ce qui n’était pas le cas avant. Avant de signer, ils savaient déjà que les gens voulaient entendre notre musique. Je ne sais pas comment ça se passe ici en France, mais en Suède de manière générale, la vision de l’artiste ne change pas, car la maison de disques aime le concept. S’ils n’aiment pas, ils ne signent pas. S’ils signent, c’est qu’ils sont d’accord avec toi. Je n’avais jamais travaillé avec un label jusqu’ici, mais c’est plus facile que je ne le pensais. Je suis en contact avec cinq personnes, tout au plus.
Tu disais que tu tenais avant tout à garder l’aspect « fun » du groupe. Mais avoue-le, est-ce que c’est toujours marrant de jouer dans un groupe de 20 musiciens ?
(rires) Actuellement, la partie la plus marrante de la tournée pour moi, c’est quand nous sommes dans le bus. Si tu nous rejoignais dans le bus, tu comprendrais tout de suite. C’est parfois presque aussi drôle que lorsque nous sommes sur scène : quelqu’un joue de la guitare tandis qu’un autre a toujours de la bière en réserve. Lorsque tu es dans un groupe, tu as toujours le sentiment d’être loin de tes proches, que tu vas manquer plein de bons moments en leur compagnie, tandis que là, tout tes amis sont dans le bus, donc c’est la fête en permanence. D’un autre côté, je ne cache pas que c’est une organisation énorme. Il faut que je sollicite le calendrier de 29 personnes en fonction des dates de concert à faire, c’est vraiment beaucoup de travail…
Je suis assez impressionné par la production du disque, que tu supervisé de A à Z, d’autant plus que c’est ton premier album.
Merci du compliment. J’ai toujours été intéressé par les techniques d’enregistrement. A l’âge de 14 ans, j’ai emprunté un enregistreur cassette multipistes et j’ai toujours aimé jouer avec les sons, m’entraîner là-dessus. Ceci est notre premier album, mais j’ai fait beaucoup de choses avant cela. J’ai déjà enregistré quatre albums ainsi avec mon groupe précédent, mais je pense que ce son vient de ma passion pour l’enregistrement, tout simplement.
Travailles-tu avec un ingénieur du son ?
Non, je ne veux pas de cela (rire).
Peux-tu m’expliquer ton processus d’écriture ? Est-ce que tu adaptes les chansons pour les 29 membres, ou est-ce plus instinctif ?
Le processus d’enregistrement peut être assez long avec ce groupe. Parce qu’ il y a beaucoup d’instruments que tu dois ajouter. Aussi, je n’enregistre pas tout le monde en même temps, parce que je n’ai pas l’équipement approprié. Si tu veux enregistrer 20 personnes simultanément, il te faut un équipement sophistiqué, chose que je n’ai pas. Peut-être que je prends deux ou trois personnes ensemble pour une partie spécifique, mais cela prend du temps. Mais pour ce songwriting, j’aime garder une manière de procéder très spontanée. C’est comme peindre un tableau : si tu passes trop de temps dessus, tu peux peut-être perdre l’image originale, tu changes les choses. Je ne crois pas en cette manière de trop changer les choses. Souvent, la chanson peut être écrite très rapidement. Mais je ne peux pas avoir le groupe dans ma tête, je veux être comme une chorale musicale. J’aime l’idée d’avoir beaucoup de voix dans mes chansons. J’écris principalement dans cette optique.
Tu t’appropries d’ailleurs le chant principal.
Non, pas tout à fait. Sur le disque, il y a deux autres personnes qui chantent. Il y a Lonely Dear sur la chanson « This Boy », je ne sais pas si tu as entendu parler du groupe, ils sont de la même ville que nous et ont été signés chez Sub pop. Il y a aussi ce chanteur sur le dernier titre qui est dans le groupe et qui s’appelle Matthias Alrikson. Je pense que dans le futur je vais de plus en plus privilégier ces changements car parfois, lorsque tu écris une chanson, elle ne correspond pas à ta voix. Alors il te faut trouver quelqu’un d’autre qui y corresponde.
Est-ce que tu improvises beaucoup en studio ou laisses-tu les autres musiciens apporter des idées pour la chanson ?
Je peux le faire pour certains arrangements. Lorsque tu rassembles des personnes ensemble, il se passe toujours quelque chose de magique. Tu peux développer une chanson, la porter vers un autre palier. J’ai toujours une idée de base, mais elle change au fur et à mesure que l’on avance. Par exemple, je ne peux pas jouer de batterie. Donc, lorsque j’enregistre chez moi, le batteur apporte un autre parfum, cela devient vivant. Sur “Tree House”, ma démo durait trois minutes et lorsqu’elle fut terminée, elle faisait 5 minutes. J’aime cette façon de jouer avec les arrangements durant l’enregistrement.
Quel genre de production t’inspirais lors de l’enregistrement ?
Je pense à une mixture de disques que j’écoutais plus jeune. J’aime beaucoup les disques des Beatles lorsqu’ils ont commencé à devenir plus originaux. Il y a aussi beaucoup de super musique comme Badly Drawn Boy, Sufjan Stevens, les Flaming Lips, Yo la Tengo, beaucoup de choses qui privilégiaient les arrangements.
Quoi d’autres, des disques psychédéliques ?
J’ai de l’affection pour la pop simple et naïve qui se concentre sur les mélodies.
Connais-tu les Papas Fritas ? Je trouve que vous avez en commun ce sens précieux de l’innocence pop.
Désolé, je ne les connais pas. Cette année, lorsqu’on a commencé à nous comparer à d’autres groupes, j’ai fait de super découvertes grâce à cela. Quelqu’un avait mentionné Arcade Fire dans un article nous concernant, j’ai écouté et j’ai trouvé ce groupe génial.
Je serai curieux d’écouter tes démos, comment sonnent-elles ?
J’ai pensé rajouter sur quelques singles nos premières démos, ce serait vraiment intéressant. Je garde tout sur mon ordinateur, donc je pourrais facilement le faire.
Est-ce que le résultat est brut ?
Non, pas vraiment. Lorsque je suis seul pour enregistrer mes chansons, je suis emporté par l’engouement créatif et je ne peux m’arrêter de rajouter des choses. Souvent, lorsque j’ai terminé, le résultat est assez compliqué, mais pas brut. En ce moment, j’écris des chansons, je pense déjà au prochain album et mon idée serait de ne pas faire de démos. Je vais tâcher de trouver un nouvel angle. Ça pourrait être intéressant de ne pas contrôler les compositions et les laisser se dérouler d’elles-même.
Considères-tu I’m From Barcelona comme une aventure à plein temps, ou envisages-tu une carrière solo ?
Tout ce qui se passe actuellement autour du groupe est du bonus pour moi. Je n’ai pas du tout planifié de devenir international, je m’en moque. Je viens faire de la promo en France, c’est super, mais c’est du bonus. Et je pense que c’est ce qui me permet de garder la tête sur les épaules. Si je commence à penser à une carrière internationale, nous deviendrions forcément un groupe mécanique. Je te le répète, j’ai fait ce groupe parce que j’étais fatigué des groupes et du business autour. J’ai expérimenté tellement de choses fantastiques cette année, si tout doit s’arrêter demain, ça me va.
D’une certaine manière, c’est un peu paradoxal. Tu dis être dégoûté des groupes et tu formes un groupe de 29 musiciens !
Oui, c’est vrai ! (Rires) Mais voilà ce que je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est la musique aujourd’hui ? De nos jours, la musique c’est : écrire un hit pour qu’il passe à la radio. Tu ferais mieux alors de rester chez toi à jouer de la guitare et inviter tes amis à chanter». Cet esprit me manquait. Il y a cent ans, les gens se rassemblaient dans les villages autour d’un feu et chantaient tous ensemble. Pour moi, la musique symbolise cet esprit d’union. C’est pourquoi j’adore inviter des gens à nous rejoindre sur scène. Et lorsque nous avons eu un hit radio en Suède, notre réaction, c’était : qu’est-ce qui se passe ?
Je comprends mieux maintenant l’esprit de la pochette : le village, les arbres, cet esprit de communauté…
Oui, cela ressemble à ma maison d’enfance. Mais j’ai toujours vécu dans de grandes villes. Je pense que lorsque je me retirerai, j’irai vivre à la campagne.
Peux-tu me donner tes 5 albums favoris :
Sgt Pepper – The Beatles
Still Crazy After all these years – Paul Simon
Yoshimi battle the pink robots – Flaming Lips
Blue – Joni Mitchell
Dirty Mind – Prince
Le site officiel d’Im From Barcelona