Jusqu’ici expert en compulsion electro organique, The Album Leaf écrit une nouvelle page dans sa carrière de musicien avec cet album délibérément plus introspectif et sombre. Et l’adage se vérifie : le malheur des uns fait le bonheur des autres…


James LaValle, laborantin plus connu sous le pseudo The Album Leaf, avait envoyé les âmes rêveuses au septième ciel il y a deux ans avec l’inaugural In a Safe Place, oeuvre electro pop contemplative marquée par l’intervention divine de certains membres de Sigur Rós et Black Heart Procession. Musicien prisé dans le milieu du rock alternatif, James LaValle est un fin paysagiste du son, peignant en solo des teintes apaisantes et bucoliques à mille lieux de ces engagements pour le rock frontal de Black Heart Procession, The Locust, ou encore Tristezza.

Après le disque semi live Seal Beach EP (disponible l’année dernière chez Acuarella Records), Into the Blue Again opère une cassure : l’aventure collective qui caractérisait In a Safe Place laisse cette fois place aux introspections personnelles de James LaValle, plus orienté sur son songwriting. De ce fait, l’équilibre instrumental habituel est contrebalancé par trois titres où LaValle s’est accaparé le chant principal. Après quelques appréhensions, cette prise de risques s’avère plutôt judicieuse, la voix de Lavalle étant plutôt agréable, bien que limitée. Et avouons-le, des titres comme “Wherever I Go”, “Always For You” et “Writings On The Wall” n’apporteraient pas de franches innovations dénuées de leur greffe vocale. The Album Leaf évite quelque part la redite via cette parade.

Cette nouvelle perspective musicale serait le fruit d’une sérieuse remise en question après un an et demi passé sur la route. Le musicien, exténué par les tournées à rallonge, s’est reclu dans sa maison de San Diego pendant six mois où il rassemble de nouvelles maquettes et écrit des paroles qui décrivent son malaise. Enregistrées au prestigieux Bear Creeks studio (Seattle), les bandes ont ensuite émigré au studio Sundlaugin, le sanctuaire islandais de Sigur Ros, pour un mixage supervisé par l’ingénieur son local Brigir Jon Birgisson. C’est dans ces lieux reculés qu’In a Safe Place y avait été enregistré et mixé en intégralité.

The Album Leaf n’a pas complètement abandonné le subtil cocktail qui a fait son succès, un habile dosage d’instruments de la vieille école recouvert d’une poudreuse electronica (les précis et hantés “Red Eye” et “Broken Arrow”). “The Light” est une ouverture aussi émotionnelle que “The Window”, composition jumelle tirée du premier album : Un instrumental où des thèmes synthétiques mélodramatiques accentués de violons guère obligeants, évoquent les terres vierges et silencieuses de Mûm. Le disque bénéficie de quelques interventionnistes triés sur le volet : Pall Jenkins (Black Heart Procession), déjà dans les coulisses précédemment, prête à nouveau ses harmonieux talents de vocaliste, et Josh Eutis de Telefon Tel Aviv est à la programmation sur quelques titres. Sans oublier les violons indispensables de Matt Resovitch (The Black Heart Procession, encore), qui a fourni un travail formidable sur une grande majorité de l’album.

Sans trop savoir pourquoi, le titre Into the Blue Again nous renvoie inconsciemment au Songs For a Blue Guitar des Red House Painters, paru il y a tout juste dix ans (peut-être à cause des superbes visuels poussiéreux). Bien que les disques des deux musiciens diffèrent, ils constituent chacun une étape charnière dans leur carrière : tout comme Mark Kozelek qui entama ensuite une carrière solo radicale (il n’enregistra pendant cinq ans que des reprises d’AC/DC), il est évident qu’Into the Blue Again ouvre à James LaValle de nouveaux horizons artistiques. Et une inspiration décuplée.

– Le site de The Album Leaf