Un monument de la pop chimérique 60’s et 70’s pousse son « chant du cygne ». Un disque contre toute attente lumineux, digne sursaut dans la carrière de ce grand monsieur.


Lunettes noires, cigarette au bout du bec, cheveux blancs et visage creusé… A l’orée de sa vie, l’image du séducteur bad boy que traîne Lee Hazlewood lui sied à ravir, comme jamais. Peut-être parce que du temps de ses premiers succès avec Nancy Sinatra, l’éternel interprète de “Some Velvet Morning” n’était déjà plus un jeune homme. Cet ex-moustachu au regard vicelard, pendant gringos de « Shaft« , a connu les années fastes de la pop sixties en tant que producteur et auteur-compositeur d’une tripotée de tubes pour la progéniture du parrain du rat pack, alias « The Voice ». Sous l’aval de Frank, Hazlewood se permettait d’accompagner la Mistinguett sur quelques duos sexy, drappé d’orchestrations symphoniques tétanisantes. Les sommets de cette alliance incestueuse furent scellés sur deux disques mythiques (Nancy & Lee I et II), où cette voix grave contrebalançait à merveille celle, sulfureuse, de la Lolita. On conseillera également de se pencher sur la carrière de ce crooner « de profundis » via ses albums solo 70’s, au souffle épique singulier et redécouverts sur le tard…

Après avoir fait l’objet d’un culte persistant dans les années 90, ce producteur visionnaire (la légende veut qu’il ait accueilli un stagiaire du nom de… Phil Spector) a été redécouvert par le grand public grâce aux rééditions de ces disques en solo, lancées à l’initiative de Steve Shelley. Le gratin de la pop indépendante se bouscule depuis au portillon pour figurer sur ses albums hommages ou autres reprises de ses succès (Primal Scream récemment encore).

Si les apparitions scéniques se font de plus en plus rares en raison de son état de santé fragile, le vieux pervers se permet encore quelques incartades en studio pas vraiment raisonnables. Entre livraisons plutôt dignes (ce nouvel album) et trop convenues (le 3e volume de la trilogie Nancy & Lee en 2004, mixture country/variet mièvre et indigeste), voir le vieil homme reprendre les chemins du studio pour son ultime album est à prendre comme le dernier privilège d’entendre un artisan unique.

Confectionné à l’ancienne avec un sens du raffinement qui n’est plus de notre temps, Cake or Death possède évidemment un parfum suranné. Les inconditionnels de l’exil suédois qui caractérisait cette réverbe crépusculaire et mélancolique ne trouveront pourtant pas vraiment pointure à leur pied. Tel le dernier volume American Recordings de Johnny Cash, ce dernier round est troublant, mais pas pour les raisons que l’on pense. De ce disque testament, Hazlewood n’a pas voulu en faire un acte mortuaire morbide, mais plutôt un hymne à l’amour en compagnie de ses amis les plus chers : son compositeur alter-ego Al Casey (Beach Boys, Carpenters), Tommy Parsons, Duane Eddy, le légendaire guitariste Richard Bennett, sans oublier sa petite fille Phaedra Dawn Stewart dans le rôle de la gamine, sont les hôtes de cette cérémonie.

Au gré de sessions en studio issues de Stockholm, Berlin, Nashville et Phoenix, le maestro nous conduit vers un voyage exotique au confort quatre étoiles : des airs sentimentaux aux accents de l’ouest Fordien (“It’s Nothing To Me”), une piquante sérénade mexicaine “Please Come To Boston”, une valse country impertinente (“Fred Feud”), des relectures de ces classiques (“These Boots…”, “Some Velvet Morning”) et même du rockabilly goth douteux (“First Song Of The Day” chanté en allemand – même Elvis n’aurait pas osé).

Le souffle est peut être un peu juste par moment, mais ne gâche pas son ton baryton au sex appeal légendaire. Hazlewood cabotine même, incorrigible sur “Bagdad Knights” et “Anthem”, du rock’n’roll dans l’esprit big band. “Please Come To Boston” renoue avec son flair légendaire de la mise en scène, une fantastique love song aux contre-pieds soul d’une maîtrise parfaite. Dans ces instants de classe absolue, on se dit que tout un monde le sépare des c(r)ooneries du lifté jusqu’à l’os Paul Anka. Enfin, sur l’émouvant épilogue “The Old Man”, il nous soutire presque des larmes lorsqu’il déclame d’un ton serein : «A cet endroit que l’on appelle le paradis, il y aura toujours pour moi des chansons à chanter ». Ian Mc Culloch se damnerait pour avoir une voix pareille. Respect.

– Le site officiel de Lee Hazlewood