Le premier album de Petra Jean Philipson, Notes on : Love, a nécessité près de huit ans de maturation. Huit années où cette dark lady (brune plus précisément) à la voix exceptionnelle a empilé les expériences aux côtés du Beta Band, David Holmes, Martina Topley-Bird ou encore Nathalie Imbruglia… Aujourd’hui, son baptême du feu intronise une artiste à la voix sensuelle, rugueuse, cousine improbable de PJ Harvey. Elle réveille dans ses chansons les démons gothiques de Nick Cave (dont elle reprend admirablement le spirituel Into My Arms) et les ballades mal cuvées de Tom Waits. Une révélation, évidemment.


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Quelque part dans un troquet de Montreuil, Petra Jean Philipson feuillette le livret de son CD. Son sourire généreux pondère un accent éloquent qui trahit une éducation au-dessus de la classe cockney. Elle nous présente avec un engouement teinté de fierté les superbes détails visuels, remplis d’anecdotes personnelles. Car en plus d’être musicienne, c’est aussi une artiste accomplie qui a réalisé le livret de ses propres mains. Entièrement dévouée, corps et âme.

Pinkushion : Tu as collaboré en tant que vocaliste sur les albums de plusieurs artistes tel que Martina Topley Bird ou encore David Holmes. Peux-tu me raconter ton parcours ?

Petra Jean Philipson : Tout cela est un peu bizarre et affaire de chance. Je n’ai jamais vraiment travaillé en tant que musicien de session. Ça ne m’intèresse pas de chanter pour de l’argent, et je n’ai jamais pris de cours de chant. Mon parcours est une succession de rencontres, d’amitiés : certains amis qui travaillaient pour d’autres gens m’ont demandé si je pouvais faire des choses sur leur disque, et puis voilà. J’ai commencé à chanter avec un très bon ami qui jouait dans le Beta Band. Nous avions formé un groupe tous les deux, cela a duré un petit moment. Tout cela a fonctionné presque accidentellement. Lorsque quelqu’un à besoin de quelque chose en particulier, peut-être qu’il va penser à toi, ensuite il t’appelle. Ça s’est passé ainsi, spontanément.

Tu collaborais gratuitement ?

Pas toujours, mais la plupart du temps oui. Pour mes collaborations avec David Holmes ce fut le cas, ce qui fut vraiment bienvenu ! Mais généralement c’était juste une association d’amis. Connais-tu Martina Topley Bird ? David produisait un morceau de son premier album. Nous nous sommes rencontrés en studio et avons sympathisé. Il m’a dit qu’il aimait ma voix et qu’il avait des idées pour un projet peut-être plus tard, mais qu’il était très occupé. Huit mois plus tard, je reçois un coup de téléphone de sa part où il me demande de le rejoindre à Los Angeles. J’étais hésitante sur le coup, du genre « mmmm, je ne suis pas sûre, je suis assez occupée en ce moment, mais je vais y réfléchir ». Lorsque j’ai raccroché, je me suis dit « mais bordel qu’est-ce que je suis en train de faire ? Bien sûr que je veux partir à LA !». C’était pour son projet Free association. Je l’ai donc rejoint en studio, l’enregistrement a duré trois mois puis nous sommes partis en tournée. Mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais faire. Je ne suis pas une chanteuse de session, j’ai toujours eu en tête mon propre projet, c’est ce que je voulais faire. Maintenant, c’est le bon moment pour moi.

Que te retiens-tu au final de cette expérience ?

Ce fut ma première profonde implication musicale. Ce fut vraiment très difficile : être transportée de partout, entourée de gens, Hollywood, les hôtels, les cocktails. C’était vraiment bizarre. Je préfère mon intégrité, faire ce que j’ai envie de faire, et il y avait beaucoup de pression. Mais ce fut une expérience extraordinaire, une très bonne expérience. J’ai beaucoup appris sur la scène, sur les gens qui sont dans le business de la musique. Peut-être une autre fois…

Il t’a fallu huit ans pour écrire les chansons de ton premier album solo. Comment es-tu rentrée en contact avec Grönland, ton label actuellement ? Je suppose que tu n’avais pas déjà signé de deal il y a huit ans.

Non, exactement (rires). Je pense que le disque a en fait nécessité quelque chose comme dix ans de maturation. Cela m’a pris beaucoup de temps d’écrire pour trouver le chemin où je voulais aller. J’ai toujours voulu être une artiste, mais je ne l’étais pas. J’étais trop jeune, trop immature.

Tu étais peintre à cette période ?

En partie, je chantais aussi déjà pour d’autres gens. Il m’a fallu beaucoup de temps pour prendre confiance en moi. Je pensais aussi que travailler avec des producteurs et d’autres personnes m’éclaircirait sur ma vision artistique. Mais ce ne fut pas le cas, la seule manière d’y arriver est de le faire par soi-même. Tu ne peux payer personne pour qu’il fasse pour toi ce que tu as en tête. Le seul moyen est de donner le meilleur de toi-même pour que ton travail ait un sens.

Quand as-tu eu le déclic alors ?

Je ne sais pas, ça a toujours été en moi. Je n’ai jamais arrêté de travailler, travailler et travailler, dessus durant dix ans… Je pense que tout a démarré à partir du moment où j’ai travaillé sur l’album avec Rob Ellis (co producteur de PJ Harvey). On a fait une partie du disque ensemble. Il n’arrêtait pas de dire que c’était fantastique, que je serai très heureuse du résultat. Alors que le disque était presque terminé, les choses ne se sont passées comme prévu. Le résultat ne me convenait pas, il fallait tout refaire, cela me brisait le coeur. Ensuite, les gens du label Gronland se sont intéressés à moi. Mais ils ont vu que j’étais triste avec le produit finit. Ils m’ont alors encouragée à continuer d’enregistrer, et de voir ce qu’il se passerait. Lorsque nous sommes retournés en studio, nous avons juste enregistré une chanson et c’était parfait. J’ai su alors que c’était exactement ce que je voulais faire. Je ne sais toujours pas si c’est la musique ou juste à cause du fait que je me sentais enfin heureuse. Je suis un peu perfectionniste sur les bords. (rires)

Tu as réalisé que tu n’avais pas le profil du musicien qui se laisse prendre en main par un producteur.

Absolument. C’est impossible pour moi. J’avais une idée spécifique de ce que je voulais, mais je ne savais pas exactement ce que c’était. La seule chose dont j’étais certaine, c’est que je voulais que cela se fasse de la manière la plus pure. Au fil des années, j’ai acquis une certaine connaissance en expérimentant avec les sons, je savais comment je voulais sonner. Et aussi en tant que femme : Etre une femme dans l’industrie du disque est très important. Parce que tellement de chanteuses sont juste le produit de l’industrie du disque. Pour moi, c’est important d’être une femme intelligente.

En fait, je faisais plutôt allusion à Martina Topley Bird.

J’adore Martina, c’est une très bonne amie, je l’aime beaucoup. C’est une excellente parolière, mais elle n’aime pas trop travailler. J’adore travailler, être indépendante, et faire du mieux que je peux. Tout le processus est important pour moi, même les pochettes. Je l’ai conçue entièrement, pris les photos, fait les collages. Tout m’intéresse. Le disque doit représenter pour moi l’âme du personnage.

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L’album contient différentes mixtures de genres, avec un soupçon de gothique, de Blues, rock, pop… il y a une approche assez artisanale, organique dans tout ça.

Oui, il n’y a aucun élément électronique sur ce disque. Tout a été joué par des musiciens. L’idée, c’est que nous vivons de nos jours dans des temps post modernes. Plus rien n’est original, c’est impossible de faire quelque chose qui n’a pas déjà été entendu. C’est très important pour moi de prendre un peu à droite et à gauche et d’en faire mon propre style. Tu trouves le disque original ?

Je le trouve très moderne. Il m’a fait pensé aux disques de Portishead pour leur aspect gothique.

Le bassiste qui joue sur le disque est un fan absolu de Brian Eno. Il a voulu expérimenter certains trucs avec son instrument, mais dans l’ensemble c’est très organique, je te l’accorde.

Ma chanson préférée sur le disque est “Play Play”. L’atmosphère qui s’en dégage est très intrigante. Peux-tu m’en dire plus sur cette chanson ?

En fait, le concept du disque est basé sur l’amour. Chaque chanson symbolise une idée de l’amour. “Play Play” parle d’un moment de bonheur intense en mer, une solitude livrée à soi-même.

Tu mentionnes par deux fois dans tes paroles le mot ‘son’ (enfant) sur “I Want The Impossible” et “Independant Woman”. Lorsque tu chantes « I Wanna Hold My Unborn Daughter », est-ce que c’est conscient ?

Je pense qu’à ce moment j’étais consciente de ce que j’écrivais. Ce sont des chansons assez vieilles. Les deux sentiments sont assez similaires. Ça ne l’est plus maintenant, mais à l’époque, c’était une sorte de rejet. « Je n’ai pas besoin de mari, je veux être indépendante » cela reflétait mon état d’esprit. Durant l’expérience Free Association, j’étais très effrayée à l’époque par ces choses. Mais j’ai changé : Tu as besoin d’amour, d’amour, d’amour. C’est difficile pour une femme de faire ce genre de choix : avoir une carrière, être une artiste et avoir des enfants.

Il y a toujours cet instinct maternel chez la femme (rires).

Exactement, c’est vraiment fort maintenant chez moi. Le prochain album sera très différent.

Que veux-tu dire par là, en terme des paroles ?

(Hésitation) Oui… à la fois plus sombre et lumineux. Plus de contraste, de noir et blanc.

Ta collaboration étroite avec le guitariste Simon Tong (ndlr : ancien membre de The Verve) prédomine sur l’album. Vous avez co-écrit deux chansons ensemble et il a participé en tant que musicien à un grand nombre de titres.

(Elle réfléchit) Mon dieu, il n’y a que deux titres co-écrits ensemble ? Nous avons écrit tellement de chansons ensemble, ce sera pour le prochain album. Mais oui, c’est mon collaborateur le plus proche. Nous faisons parti d’un mouvement folk psychédélique, localisé au sud de Londres. Simon s’occupe d’un label, des fêtes sont organisées où beaucoup de musiciens d’avant-garde comme Duke Garwood ou Indigo Moss viennent jouer. Simon a joué avec Blur l’année dernière et maintenant il a monté un groupe avec l’un des membres de The Clash, une sorte de super groupe – Ndlr : The Good, The Bad And The Queen, comprenant respectivement Damon Albarn, Tony Allen, Paul Simonon et Simon Tong.

Vous rejoindra-t-il en tournée ?

Oui, il le fait habituellement, mais il n’a pas pu nous rejoindre hier soir sur Paris. Ah quelle soirée magnifique ! Ce fut mon meilleur concert jamais donné. Cela s’améliore au fur et à mesure. J’étais tellement calme et relax, et le groupe jouait parfaitement. Nous allons revenir effectuer une tournée en France l’année prochaine, avec probablement cinq ou six dates.

Tu reprends également sur l’album “Into My Arms” de Nick Cave. Pourquoi as-tu choisi cette chanson ?

Il y a beaucoup de raisons à cela. Tout d’abord, j’aime la chanson. Pas nécessairement pour la mélodie, mais aussi les mots. Comme je te disais, le concept du disque est basé sur l’amour et ses différents sentiments. Premièrement, la vie est impossible sans l’amour, dans “Oneday”, « j’espère que l’amour arrive » (en français). Dans « Independant Woman », je n’ai pas besoin d’amour. “Billy Steaks”, parle de trahison et que quelqu’un d’autre devrait être avec toi. “Nothing If Not Writing Time” dit que l’amour ne compte pas, la vie ne compte pas, rien ne compte ! “I’m Lying !!!!” est ma trahison. “Into My Arms” est la vie. “On Me Jack” parle d’un sentiment d’amour et de perte. “Wildfire” signifie l’amour dangereux qui n’est pas bon pour toi. “Craddle of Your Smile” est mélancolique et imprégné de colère. Mais “Into My Arms” évoque le sentiment le plus doux et le plus beau. A ce moment là, c’était quelque chose que je ne savais pas écrire. C’était impossible, je ne l’avais pas en moi. Mais c’est quelque chose auquel je m’identifiais tellement. Cette chanson est tellement simple et parfaite. Nick Cave est un grand poète. Ce fut un accident complet en studio. Nous avions terminé l’enregistrement et nous l’avons pratiquement improvisé. C’était tellement beau que nous l’avons gardé.

Sais-tu s’il a écouté ta reprise ?

Je ne sais pas ! Peut-être, un ami à moi connaît Mick Harvey des Bad Seeds et je devrais lui donner un exemplaire du cd. J’espère qu’il l’aimera.

Dernière question, peux-tu me donner tes cinq albums favoris de tous les temps ?

(rires) Ce serait alors :

The Boatman’s CallNick Cave

Pink MoonNick Drake

HorsesPatti Smith

Tom WaitsThe Black Rider

J’ai beaucoup écouté Tom Waits et Nick Cave avant d’enregistrer le disque. En studio, je n’écoutais plus rien, car j’avais peur de perdre ma concentration. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique d’église, des chorales du XIIIe siècle, et je pense que le prochain album sera très orienté dans ce sens… du moins la partie spirituelle !

-Petra Jean Phillipson, Notes On love (Grönland/Differant)

Le site de Petra Jean Phillipson

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Concerts 2007 :

27/01 Tourcoing (Le Grand Mix)

06/02 Paris (Maroquinerie – Les Nuits de l’Alligator)