Au regard du « early » Earlies, on s’attendait à ce que les dérivations cosmiques du collectif nous reviennent sous une forme plus concise, voire décroche un « single » potentiel. Ce n’est pas encore pour demain. Tant mieux.


Les « primeurs » Mark Lapham et Giles T. Hatton nous avaient prévenu l’année dernière, le successeur du cotonneux These Were The Earlies serait radicalement plus sombre. Et le duo ne nous a pas trompé sur la marchandise : The Enemy Chorus est un disque poisseux. Du visuel noir qui tranche avec la sérénité de These Were The Earlies jusqu’aux nouvelles tessitures paranoïaques, le contraste est saisissant.

Sur The Enemy Chorus, que l’on considèrera comme leur premier véritable album – le précédent rassemblait leurs premiers EPs et singles – le collectif anglo-américain s’émancipe en tachant d’encre noire indélébile ses territoires sonores contemplatifs. Le psychédélisme lustré de “Gone for the Most Part”, ainsi que le glaçant “Bad is as Bad Does” filent la chair de poule, répandent de mauvaises ondes sous l’égide de claviers dark wave oppressants. Tout aussi diamétralement enjoué, “Enemy Chorus” parvient pourtant comme par miracle à s’extirper brièvement de ses abîmes avec un pont d’harmonies vocales lumineuses.

The Enemy Chorus mérite bien son titre : toujours pas de refrain évident à l’horizon. De par cette ligne de conduite, le quatuor (semi-collectif ?) entend bien corriger un malentendu : cette image qu’ils traînent de naïfs esthètes psychédéliques sous haut parrainage sixties. The Earlies n’est sur le fond pas exactement une formation pop : ils font de la pop expérimentale. Nuance. Bien sûr, il y a le chant de Brandon Carr qui opère comme un fil conducteur mélodique, mais leur terrain de jeu se veut plus complexe. L’antenne magnétique géante au-dessus de leur tête capte une multitude de genres tels que l’electronica, le krautrock, le new age ou le jazz… Le collectif ne cherche pas à polir les angles d’une mélodie, il développe son thème et l’étire jusque dans ses derniers retranchements.

Au travers de cet énorme carrefour de directions instinctives, The Enemy Chorus n’est pourtant pas à l’abri de ratages : “When the Wind Blows” sonne comme du Genesis… L’album, est certes long, trop, et aurait peut-être gagné à être amputé de deux ou trois titres pour un éventuel EP. Un EP sans single, bien entendu.

Mais les réussites sont là, en force. Outre les sombres passages mentionnés plus haut, un titre comme “The Ground We Walk On” offre les prémisses d’une pop song évidente mais préfère se diluer dans un état d’égarement éthéré. Exquis. Autre moment de perdition, la poursuite du (de ?) stupéfiant “Burn The Liars”, interrompu par des éclairs d’harmonies vocales rayonnantes. Les cuivres pachydermiques de “Foundation and Earth” sonnent quant à eux comme si Robert Wyatt avait retrouvé l’usage de ses jambes et son bon vieux kit de batterie. Plus apaisée, l’escapade folk (toujours) sous acides “Broken Chain” ou encore le très tendu “Breaking Point” et ses sitars ensorcelants offrent de belles envolées raffraichissantes. Finalement, ce disque n’est pas si obscur que ça, il mérite juste un peu plus de lumière…

– Le site de The Earlies

– Lire également l’entretien-> The Earlies, apôtres du psychédélisme version XXIe siècle (janvier 2006)