L’énigmatique diva de Seattle hébergée par le label Fargo nous revient plus envoûtante que jamais. A mi-chemin entre l’americana contemporaine et la soul sixties.


On l’avait laissée, en 2004, acoustique, posée, troubadour féminin sur les traces de ses aînés – Neil Young ou Marianne Faithfull en tête – et de ses contemporains épris de guitares et de grands espaces. 2006 : troisième album pour Jesse Sykes, qui nous revient plus sûre d’elle, riche d’une instrumentation affirmée, débordante d’énergie et de magnétisme.

Le charisme : ce mot employé désormais à toutes les sauces décrit à merveille l’aura insaisissable de cette artiste. Brindille aux longs cheveux de jais, allure décontractée réhaussée de breloques, Jesse Sykes pourrait être la réincarnation, moderne et pacifiée, de Janis Joplin. Et plus qu’une simple – vague – ressemblance, Jesse Sykes semble marcher sur les traces de l’explosive rebelle, à entendre la maturité supplémentaire qu’a récemment acquis sa musique.

Le changement – ou la sublimation – se fait pourtant en douceur. “Eisenhower Moon” joue la continuité avec Oh My Girl : arpèges de guitares sur lesquels vient se poser un thème discret à l’harmonica, et toujours cette voix unique, dont l’irruption parvient à créer la surprise. Voilée, éraillée, parfois androgyne : la voix de Jesse est en effet son principal atout. Elle sait en user à merveille, et parcourt divers registres avec gracilité : intimiste, comme sur cette ouverture, bientôt survoltée, sensuelle, mélancolique. Dès “LLL”, Jesse, comme en confiance, dévoile de nouvelles perspectives : les riffs électriques aux accents rétro servis par son guitariste Phil Wandscher donnent au morceau un air sixties qui lui va comme un gant. Sixties sans doute, mais c’est du côté de la « beat generation » et de la soul de Janis Joplin qu’il faudrait aller chercher. En soulignant toutefois que Jesse distille une énergie contenue qui n’a pas grand chose à voir avec les déflagrations orgasmiques de la grande Janis. Si hommage il y a, il est donc discret et maîtrisé.

“You Might Walk Away” poursuit la transformation amorcée sur “LLL”, grâce à cette ligne de guitare entraînante et les balbutiements psychédéliques d’un clavier, pour la note rétro. On apprécie l’énergie – même contenue – qui transpire de ce titre. Et même sur “The Air is Thin”, qui semble débuter comme une ballade d’americana des plus orthodoxes, le finale, avec ses accents de chorale hippie, transfigure le morceau et le distingue nettement de ses précédents opus. Les choeurs de “How Will We Know” associés à une guitare qui divague par instants se chargent également de donner un souffle nouveau à un titre pourtant consistant. Sur “Station Grey”, Jesse Sykes ajoute une pierre supplémentaire à l’édifice de ce néo-folk inspiré, dont Calexico ou OP8 sont les clés de voûte. Et lorsque Jesse confesse « I Like the sound » sur le titre du même nom – on pourrait en dire autant -, elle est épaulée par l’instrumentation riche de ses Sweet Hereafter, qui semblent, plus que jamais, en symbiose avec elle.

Comme pour compenser cette émancipation, l’album comprend quelques titres à la nostalgie palpable, des odes chantées sur fond de six-cordes qui évoquent quelques lointaines contrées désertiques. “Spectral Beings”, “Hard Not to Believe” ou “Morning it Comes” sont de ceux là. Ils s’écoutent avec ce plaisir, sans doute frileux, du repli confortable sur soi. Car c’est lorsque Jesse Sykes se laisse aller à quelques fulgurances électriques qu’elle devient des plus envoûtantes. Sur le final, éponyme, elle chante : « I wouldn’t be surprised to never sing this song again ». Gageons qu’il ne s’agit que d’une boutade de sa part, car on en redemande.

– Le site de Jesse Sykes

– La page Myspace