Dans la mythologie, le Trickster est un personnage divin, immoral et impulsif, qui bouscule l’ordre établi pour favoriser l’établissement de nouvelles valeurs. Trickster, le premier album du saxophoniste Alban Darche (Le Gros Cube), du batteur Emannuel Birault et du contrebassiste Frédéric Chiffoleau, vient à point nommé brouiller quelques repères trop vite établis et perturber la routine des trios – notamment ceux qui empruntent à la pop et au rock une partie de leur esthétique, au départ surtout pour se réinventer, aujourd’hui davantage pour être à la page. Affûtée et exigeante, cette nouvelle formation de Darche mélange avec ruse et intelligence les données sonores d’une équation gagnante (nervosité, lisibilité mélodique, polyrythmie), au résultat constamment imprévisible. De l’art du trio de sonner autrement : une contrebasse puissante qui file droit et s’éclipse au moment où on s’y attend le moins, un saxophone ténor qui se dédouble, redouble de sonorités riche et variées tout en traçant des lignes de fuite free, une batterie syncopée qui oscille entre la droite et la gauche, le proche et le lointain. Les treize morceaux incisifs (quatre minutes en moyenne) de Trickster conjuguent une efficacité redoutable à un sens de l’orchestration qui fait de l’espace et de la matière sonore deux données fondamentales. Soumises à des transformations sur la durée, d’incessantes superpositions de voix et autres renversements de tons ou de styles (superbe incursion de la musique arabe sur “Cycle de Ziriab : danse # 1”), les compositions de Darche (un seul morceau, “Misty”, est une reprise d‘Eroll Garner) ne ménagent aucun moment de répit et mettent à l’épreuve un trio déjà phénoménal qui s’en sort avec tous les honneurs.
– Le site de Yolk Records.