The Besnard Lakes sont les auteurs d’un album de toute beauté, aux envolées émouvantes, au carrefour du folk, de la pop et de la musique expérimentale. Le rendez-vous est pris pour une entrevue avec Jace et Olga Lasek, mariés à la ville et noyau dur du groupe résidant à Montreal. Décontractés, bien que passablement fatigués – nous les avons cueillis quelques heures après leur arrivée en France -, c’est avec le sourire que ce grand fan de Yes qu’est Jace répond à nos questions.
Une peau diaphane, des cheveux d’ange blonds comme les blés, Jace Lasek a une allure de poupon déguigandé, ou, c’est selon, de garçon simple aux antipodes de la hype. Accompagné de sa femme Olga – bassiste et chanteuse au sein du groupe -, il parle tour à tour de sa ville natale – Vancouver -, de sa cité d’adoption – Montreal -, de l’effervescence de la scène canadienne, mais aussi de ses nombreuses et étonnantes références.
Pinkushion : Votre deuxième album, The Besnard Lakes are the Black Horse, sort cette semaine. Que ressentez-vous?
Jace Lasek : On est très excités, impatients ! Il commence à y avoir quelques très bonnes chroniques à son sujet, ce qui nous étonne beaucoup, car nous ne sommes pas habitués à attirer l’attention comme ça ! (rires) On a monté notre groupe en 2002, mais auparavant, nous jouions dans d’autres groupes, depuis 2000, dans la partie ouest du Canada, à Vancouver. D’ailleurs, le nom actuel du groupe vient de là-bas. C’est le nom d’un lac situé à l’ouest. Je crois que ça s’apelle le « lac aux nombreuses îles ». C’est très beau.
Actuellement, en Europe, vous n’êtes pas connus. Pouvez-vous nous raconter l’histoire du groupe?
A l’origine, on avait un groupe à Montreal, quand on y a emménagé pour la première fois, en l’an 2000. Puis ce groupe s’est pour ainsi dire désagrégé : Olga et moi sommes partis. Tous les deux, nous sommes mariés. On venait juste d’avoir le studio d’enregistrement à cette époque, alors on s’est dit : « et bien, ne faisons pas un nouveau groupe, mais faisons plutôt un disque ! » Donc le premier disque a été réalisé uniquement avec Olga et moi. Ce n’est seulement qu’après que nous avons constitué un groupe. Le premier groupe n’a pas marché et s‘est séparé, mais le groupe actuel fonctionne très bien. Sur le premier album, Olga et moi jouions la batterie, les guitares, le clavier, la basse. Nous avons maintenant de très bons musiciens pour ça. Nikki, au clavier, a une formation classique et écrit de la musique contemporaine. Notre batteur est très bon, nos guitaristes ont une formation jazz. Donc, ce disque, c’est le résultat d’un groupe.
D’un vrai groupe… où serait-ce plutôt le résultat d’un collectif de musiciens ?
Non, nous sommes six à être le noyau dur du groupe. Puis des amis nous rejoignent. Nikki, le clavier, compose également, comme je vous l’ai dit. Quand elle s’est proposée d’écrire les arrangements des cordes et des instruments à vents, j’ai commencé à appeler tous mes amis susceptibles de jouer de ces instruments. Mon ami Crystal joue du cor français ; ok pour le cor français alors. Dave, de Godspeed You Black Emperor!, joue du violon, donc, va pour le violon. Mais par contre, on n’a pas trouvé de joueur de hautbois. Donc, on a dû remplacer toutes les parties de hautbois par des arrangements de flûte et saxophone soprano. Nikki est venue en studio, avec toutes ses partitions, les a posées devant les musiciens, et on leur a dit : « jouez, maintenant! ».
Dans le groupe, tu es musicien et producteur ?
Oui, je suis producteur avant tout. Je gagne ma vie en produisant des albums ; j’ai un studio à Montreal.
J’ai lu que tu avais notamment travaillé avec Wolf Parade, Islands?
Oui, Islands, ils ont enregistré dans notre studio. Mais c’est Mark Lawson qui s’est chargé de la production de leur album. Là, je viens de finir le nouveau Sunset Rubdown (ndlr : groupe de Spencer Krug, officiant également chez Wolf Parade). J’avais également fait le premier album. Je viens aussi de finir le travail sur l’album de Stars.
Leur nouvel album ?
Ils vont faire un nouvel album et vont l’enregistrer en mars prochain, mais ils ont passé un mois dans mon studio en novembre pour écrire leur chansons. Je devais juste m’assurer que les arrangements étaient finis, afin qu’ils puissent l’enregistrer pour de bon.
Comment avez-vous été signés sur le label Jagjaguwar ?
On avait peut-être 5 ou 6 chansons terminées, et j’ai décidé d’envoyer un CD au label. Puis j’ai appelé mon ami Josh, qui fait partie de Black Mountain ; je lui ai demandé de nous recommander à Jagjaguwar. Au même moment, le gars qui s’occupait de la page Myspace de Jagjaguwar nous a découvert, sur Myspace également. Il en a parlé au label, alors même que Josh avait déjà recommandé notre CD. Donc, il y a eu plusieurs choses en même temps.
Il y a un autre groupe de Montréal, signé chez Jagjaguwar : Swan Lake…
Oui, c’est Spencer Krug, de Wolf Parade, Dan Bejar de Destroyer et Carey (ndlr : Mercer, leader de Frog eyes). Et, non, je n’ai pas enregistré cet album (rires).
En fait, je pensais qu’il existait une connexion entre Swan Lakes et The Besnard Lakes.
Pas vraiment, non. Spencer est un de mes amis depuis longtemps, on se connaissait déjà quand on habitait Vancouver avec Olga. Je pense qu’on était chez Jagjaguwar avant lui, et je savais que Spencer voulait signer chez eux. Le label est génial, ils vous disent tout, en toute transparence. On ne pouvait pas espérer mieux.
Parlons à présent de la scène de Montréal. Il semble qu’il existe une grande famille de musiciens. Est-ce que vous fréquentez les mêmes bars, les mêmes endroits ?
Oui, sans doute, c’est une communauté dans la mesure où c’est une communauté anglophone dans une ville francophone. Nous fréquentons tous les mêmes bars, nous vivons tous dans le même quartier. Il ya beaucoup de musiciens partout. Oui, je crois que c’est dû au fait qu’on habite tous dans la même zone et qu’on fréquente les mêmes endroits. On se soutient beaucoup, entre nous, ce qui, à mon avis, est une très bonne chose. Dans d’autres villes, les gens ne sont pas forcément aussi bienveillants envers les autres. Là, à Montreal, les groupes se supportent mutuellement, s’entraident, les musiciens d’un groupe jouent souvent sur le disque d’un autre. Il n’y a aucune jalousie, c’est très agréable de faire partie de cette communauté.
Penses-tu que ça a commencé avec le label Constellation ?
Oui, il me semble, même si d’autres pourraient penser que ça n’a pas grand chose à voir. C’est une des raisons pourquoi on est venus ici. Quand on était à Vancouver, rien ne se passait côté musique. Voyant que les choses commençaient à bouger, on s’est dit qu’on devait déménager. On a d’abord pensé à Toronto, mais sans vouloir vraiment y aller. Et puis il y avait le label Constellation, qui réalisait tout ce travail, avec toutes ces belles pochettes d’album, tous ces albums avec un côté artisanal. J’ai senti qu’il y avait quelque chose au Canada auquel je pourrais être relié. On s’est dit :« Voyons de quoi cette scène a l’air… ». Oui, je crois que les gars de Constellation sont ceux qui ont fait démarrer tout le truc.
On peut prendre conscience de l’existence de cette communauté, sur disques. Mais lorsque je me suis rendu à Montreal il y a deux mois, j’ai eu l’impression que c’était une communauté assez underground. On ne voit pas de musiciens dans la rue. C’ est assez différent de Toronto, par exemple. Tu vois ce que je veux dire ?
Oui, c’est sans doute lié à ce que j’ai déjà dit, que la communauté anglophone est réduite. Il y a ce quartier, assez réduit dans Montreal, où on se retrouve. Et le reste de la ville, c’est … comment dire, le reste de la ville ! (rires) Comme on fréquente les même 4 ou 5 endroits, tu ne nous trouveras pas ailleurs. Si tu ne connais pas ces endroits, tu ne croiseras jamais personne de cette « communauté ».
Y a t-il un lien entre les villes au Canada ? Car les distances sont tellement énormes.
Beaucoup de groupes viennent de Vancouver, comme Wolf Parade par exemple. A l’époque où on a déménagé, la vie était encore bon marché à Montreal. A l’époque, ça coûtait rien de louer une chambre et de créer sa propre musique. Mais ce n’est plus trop le cas maintenant, ça devient de plus en plus cher.
Vancouver-Montreal, en termes de distance, c’est quasiment comme Montreal-Paris.
Oui! C’est étrange à quel point le Canada est un vaste pays, et à quel point, dans le même temps, il existe des connexions entre les villes : Vancouver, Toronto, Montreal. C’est assez dur à expliquer…
Olga : On a essayé de parcourir le Canada, mais… c’est un grand pays! (rires) C’est énorme, ces distances. Les distances que tu dois parcourir te coûtent tellement cher.
Jace : Un jour, on a joué à Vancouver, on a gagné 300 dollars. Puis on devait ensuite se rendre à Coldrey, qui se trouve à environ dix heures de route de Vancouver. En gros, tu gagnes de l’argent à un concert, puis tu le dépenses aussitôt pour le trajet ! (rires)
Parlons maintenant de l’album. On peut déceler l’influence des Beach Boys, mais aussi du folk psychédélique. Comment définirais-tu ta musique ?
J’aime les Beach Boys, j’adore Roy Orbison, j’aime les Bee Gees, mais j’aime aussi My Bloody Valentine, la musique expérimentale, ce qui peut s’entendre dans nos arrangements. On voulait faire un disque pop, mais on voulait aussi que les structures des chansons soient intéressantes, moins évidentes que couplet-refrain, couplet-refrain. J’adore les disques des années 60 : Brian Wilson, Phil Spector…
Il me vient une appellation pour votre musique : Dream-folk. Qu’en pensez-vous ?
Intéressant ! C’est étrange, certains pensent à Queen, à Fletwood Mac, j’ai même entendu Nazareth ! Certaines chansons sur l’album sont d’un rock assez classique, il y a des soli de guitares. Ce qui est cool, c’est que les gens disent que ça ressemble à ceci ou cela mais jamais à une seule chose bien définie. C’est un mélange de toutes nos influences. Par exemple, je suis un grand fan de Slayer! Mais aussi de Prince ! (rires)
Olga, de quels instruments joues-tu ?
Olga : Je joue de la basse, un peu de batterie aussi sur le disque, et je chante. Je joue aussi de la batterie dans un autre groupe, World Provider. Mais mon instrument principal, c’est la basse. Le chant, c’est quelque chose d’assez nouveau pour moi. J’essaie de m’améliorer, j’apprends continuellement. Par exemple, on doit chanter avec le ventre, c’est vrai, et je le sens parfois quand je chante. Je joue aussi de la guitare de temps en temps, du clavier.
Qui compose les chansons ?
Jace : La structure des morceaux, c’est Olga et moi. Les arrangements déments de cordes, c’est Nikki notre clavier. C’est une combinaison des deux. Même Kevin, notre batteur, peut être amené à apporter une structure aux chansons. Maintenant, les Besnard Lakes, c’est nous tous.
Je ne sais pas si vous êtes d’accord avec moi, mais il y a un côté très spontané sur l’album.
Je crois que ça vient du fait qu’on n’avait pas beaucoup de temps à consacrer aux chansons en studio. Le studio que je possède est sans cesse occupé. Et c’est très dur de l’occuper pour enregistrer notre propre musique. En général, on prend quelques jours, quand il n’y a personne de prévu dans le studio. Un jour par ci, un jour par là, on enregistre tout assez rapidement. Sinon, nous serions sans cesse en train de peaufiner un album, de tenter de le rendre toujours meilleur. Je voulais de toutes façons quelque chose d’organique, je voulais qu’on entende les erreurs, les imperfections. Elles me rappellent l’instant où j’étais en train d’enregistrer la musique. On se souvient toujours des erreurs. Ca donne un attrait spécial à une musique.
Il y a une chanson que j’adore, c’est “For Agent 13”. Il y a des voix étonnantes dessus, qui me rappellent Yes, le même genre d’harmonies vocales.
Oui ! J’adore Yes ! Fragile tout particulièrement. On a décidé de se marrier après avoir écouté cet album.
Qui est Jon Anderson alors ? Jace ou toi Olga ?
Olga : Ah non, c’est lui ! (rires) Il peut chanter très haut.
Olga, tu fais également les harmonies vocales…
Jace : Tout le monde en fait. Kevin, notre batteur, est bien meilleur chanteur que moi. Tout le monde chantait sans effort les harmonies. Je voulais m’assurer que chacun pouvait chanter les parties vocales, car rien ne ruine mieux un groupe que quelqu’un qui chante alors qu’il ne sait pas bien le faire. Cela pourrit aussi la musique. Pour nous, les harmonies vocales, c’est vraiment la clé.
Avez-vous prévu de venir en Europe ?
En mai, oui. On commence en Angleterre. Je crois qu’il y a une date prévue en France début juin, à confirmer.
J’ai entendu qu’il y avait eu des choses étranges suite à l’enregistrement du disque…
La première fois qu’on a joué “Disaster”, dans un club à Montreal, pendant la partie calme (quand il n’y a que moi et la guitare) quelqu’un a fait tomber des assiettes. Juste pendant ce moment calme, surtout que le public de Montreal est aussi très calme, très attentif ! Une autre fois, en première partie de Wolf Parade, dans un théâtre de Montreal, le courant a sauté, avec un bruit terrible, comme si quelque chose nous tombait dessus. Puis c’est revenu, tout de suite après. Une autre fois, Kevin s’est brûlé gravement au visage, au deuxième degré. Ca me fait penser à Brian Wilson, quand il enregistrait “Fire”, il faisait porter des casques de pompier à ses musiciens qui sortaient ainsi grimés dans la rue. Puis un immeuble a pris feu ce jour là. Il s’est dit : « je ne sortirai jamais cette chanson, elle porte de mauvaises ondes !! »
Faîtes attention alors ! (rires) Question finale : quels sont vos 5 albums préférés de tous les temps?
Jace :
Bee Gees, Odessa
N’importe quel disque de Roy Orbison
The Beach Boys, Pet Sounds
Fletwood Mac, Task
Yes, Fragile
Olga :
My Bloody Valentine, Loveless
Pixies, Surfer Rosa
Photos de Pascal Amoyel
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