Un doux nostalgique tente d’exhumer le rêve californien, à grands coups de réverb subliminale. Un très bel hommage kaléidoscopique au meilleur de l’Amérique et à ses désillusions.


Ancestral, distordu, saturé, défiguré, le folk plie mais ne rompt pas. A l’heure où l’on apprend avec regrets que la revue alternative Arthur dépose les armes – co-instigatrice avec Devendra Banhart de la compilation Golden Apple of The Sun qui a mis en lumière plusieurs acteurs de l’avant-garde acid-folk – des labels tels que Locust, Holy Mountain, Gnomonsong et quelques autres s’évertuent à défendre une certaine conception de la musique sans oeillères : chaque semaine voit apparaître une nouvelle génération de musiciens folk qui ne cessent de se nourrir de son héritage tout en éclatant ses conventions. Parmi cette résistance, le micro label Gnomonsong co-géré par la vedette Devandra Banhart et Andy Cabic (Vetiver) est une oasis de bon goût, ce malgré une poignée de signatures : la précieuse Jana Hunter, Feathers, Rio En Medio ou encore Jason Quever, doux idéaliste du nom de Papercuts.

Ce jeune californien, certainement le plus facilement abordable de la bande, a déjà enregistré depuis 2002 deux disques sous son patronyme. Le premier essai, Rejoicing Songs est de facture lo-fi, tandis que Mockingbird, nettement plus travaillé, prépare le terrain à Can’t Go Back, son opus le plus abouti à ce jour. Un détail non négligeable : pianiste talentueux, il loue occasionnellement ses services pour Casiotone For The Painfully Alone, The Skygreen Leopards, Cass McCombs et Vetiver (Andy Cabic double d’ailleurs les parties vocales sur une bonne poignée de morceaux). De ce besoin viscéral de multiplier les expériences hors de son cocon solo, Jason Quever dévoile là une démarche qu’il considère vitale à l’épanouissement de son inspiration.

Et quelle vision. Can’t Go Back est un regard fantasmé, quasi onirique sur une Amérique idyllique, celle bien sûr des glorieuses « sixties », un dernier songe avant le réveil traumatisant du Vietnam. Une période prospère et insouciante que le jeune homme ne connaît qu’à travers des images qui ont fait le tour du monde et qui continuent de hanter l’inconscient collectif quarante ans après. Quever maîtrise manifestement ces idiomes comme personne d’autre. Son souffle vocal léger mais cristallin, ainsi que la réverb outrancière qui imprègne ses mélodies brisées, ne font qu’accentuer l’aura mystique de ses chansons, comme de la poudre de nostalgie jetée aux yeux… ou poussière d’étoiles, c’est selon. Les arrangements de cordes lorgnent définitivement vers la pop/folk spectorienne des symboliques Mamas & Papas. “Just Another Thing to Dust” et ses violons en suspens suggèrent une vision de l’aurore immaculée : une sensation de sérénité nous emplit, des rayons de soleil se reflètent au bord de l’eau salée, caressant les petites frises de sable. Le ciel n’a jamais été aussi bleu.

Mais le temps se gâte… derrière cette apparence élégiaque, les premiers électro-chocs se font sentir. L’épopée de l’ouest “John Brown” exhume le fantôme de Patt Garret & Billy The Kid, formidable BO spatiale du film de Sam Peckinpah signée par Dylan. Difficile d’ailleurs de ne pas prendre en compte l’obsession vouée par Quever à l’ultime troubadour lorsqu’il se fend d’un hommage au légendaire “John Brown”, figure abolitionniste devenue un martyre de l’Amérique – également immortalisée par Dylan. Repris en flagrant délit de paraphrase, un « Big Girl Now » lâché sur “Dear Employee”, ou encore sur la ballade “Take the 227th Exit“, réminiscence poétique d“Highway 61“. En dépit de cette influence pesante, Quever n’en demeure pas moins un parolier sensible dont les mots se font soupirs. Sur sa dernière déclaration “The World I Love”, son verbe reflète à la perfection ce sentiment du temps qui file et nous laisse sur la chaussée avec nos souvenirs, comme les héros déphasés du film de Peckinpah :

The World I Love Is Killing Me Slowly But Surely

The World I Love is gone away I got to it go just let it go now…”

– Papercuts sur Gnomonsong

– Papercuts sur Myspace