En France aussi il existe des disques qui proposent autre chose que cha-la-la-la. Les musiciens de Zone Libre invitent l’auditeur dans les méandres tortueux de leurs cerveaux qui semblent pourtant en état de putréfaction avancée.
Zone Libre est un projet strictement instrumental qui réunit un trio de musiciens rompus aux arcanes du rock qui secoue, à savoir l’immense Serge Teyssot-Gay (guitariste fondamental de Noir Désir, d’Interzone avec le joueur de oud syrien Khaled Aljaramani, et auteur de quelques projets solo hautement recommandables), l’inquiétant Marc Sens (guitariste pour le moins aventurier qui connut son heure de gloire aux côtés de Yann Tiersen et qui accompagna un temps Sergio Teyssot-Gay autour de lectures publiques de Lydie Salvayre), et le féroce Cyril Bilbeaud (batteur de Sloy, petite légende du rock underground français des années 90). Leur premier disque, Faites Vibrer La Chair, paraît sur T-Rec, le label que Cyril Bilbeaud a créé avec Jean-Charles Versari (Hurleurs) et aux côtés duquel il joue sur Versari, premier album solo de ce dernier.
Faites Vibrer La Chair s’adresse surtout aux boyaux et aux tripes. Il s’agit d’un objet expérimental particulièrement aride mais ces trois musiciens (ici le mot est utilisé à sa juste valeur) n’ont pas pour habitude de s’adonner à l’esbrouffe. Les guitares s’emmêlent dans une conversation malsaine, se jettent des défis, s’affrontent dans des duels sanglants, exaltées par une batterie démoniaque qui ne cesse d’attiser ce combat de monstres. Tout le disque se déroule autour d’une lutte âpre, et la violence sourd de la moindre note jouée ici quand elle n’explose pas littéralement dans un geyser de sang. Bien sûr, en dignes combattants, les instruments reprennent leur souffle de temps en temps, comme sur « L’Epidémie Humaine », tout en profitant de ce répit pour se jauger, se tourner autour, quitte à lancer quelques coups de griffes haineux. Mais tout cela ne leur sert qu’à mieux rebondir, se jeter sur l’autre dans le but unique de l’achever dans la seconde et si possible dans d’atroces douleurs (« Chair De Naissance Et De Mort »).
Mais que cette description apocalyptique n’arrête pas le néophyte, ce n’est que de la musique. Certes, l’oeuvre de Zone Libre ne respire pas la joie de vivre et l’optimisme n’est pas franchement de rigueur – en attestent les titres (morceaux choisis : « Erection Vertébrale », « Mort Technique Sur Tout Le Territoire » ou encore « Avec Ca T’auras Six Bastos ») et les illustrations glauques à souhait (un peu comme si Topor avait plutôt illustré la mort violente que la vie bordélique). Il ne s’agit pas non plus d’une horreur satrianienne, il s’agit bel et bien d’une oeuvre, d’une performance musicale. Teyssot-Gay, immédiatement identifiable, n’a pas pour habitude de faire hurler sa guitare dans le vide, peu lui importe la vélocité, c’est l’esprit qui compte ici, si une note doit être tenue ce n’est pas pour la frime mais bel et bien pour dissoudre le cerveau de l’auditeur. La musique, comme tout art, n’ayant pas pour seule vocation le divertissement mais plutôt l’incitation à la réflexion, fût-elle détestable, l’expérience offerte par Zone Libre vaut d’être vécue. A condition d’être armé d’une bonne dose de curiosité et d’avoir des voisins tolérants… ou sourds.
– Le site de T-Rec.
– Zone Libre sur myspace.