Spectaculaire revirement : les rois de Nashville délaissent leur garage rock sudiste pour une musique à desseins plus ambitieux, puissante et sombre. Ils ont troqué leur paire de Converse pour des Caterpillar. Le coup de pied qu’ils nous infligent fait forcément plus mal…


Mais que s’est-il donc passé dans le rock du bayou des Kings of Leon ? La première écoute – plutôt déroutante avouons-le – de Because of the Times, laisse insinuer que des promoteurs sans scrupule ont investi leur patelin, rasé leur marais ancestral pour y construire à la place un gigantesque complexe immobilier. Il ne reste des vestiges du passé que quelques corbeaux nichés désormais sur des tours vertigineuses, des tours tellement sombres qu’on n’en distingue même plus le ciel. Résolus à défendre leur lopin de terre, les frères et cousin Followill n’ont pas eu d’autre choix que de sortir l’artillerie lourde pour lutter contre l’envahisseur. Leurs tempéraments se sont endurcis, porteurs à présent d’une hargne qui fait froid dans le dos, à faire pâlir une formation… post-punk !

Aux fans déconcertés par ce revirement soudain, les Kings Of Leon ont préparé une réponse toute prête en guise de titre d’album : les temps changent… Manifestement, les Kings souhaitent passer à autre chose, et en toute franchise, ce mal était devenu nécessaire. La fraîcheur du premier album Youth and Young Manhood n’était plus d’actualité sur leur mollasson second opus. Traînant une image de « Creedence Clearwater Revivaliste », les gaillards de Nashville se sont retrouvés pris au piège de leurs propres idiomes. Il fallait se débarrasser de ce fardeau, bousculer les vieilles habitudes, quitte à provoquer une cassure, et de taille. Si on ne les attendait pas forcément sur ce terrain plutôt « vengeur », il faut admettre que l’effet de surprise est total.

Pour durcir le ton de leurs protégés, les petits prodiges des manettes Ethan Johns (Ryan Adams) et Angelo Patraglia (Face to Face) leur ont mijoté une production rock dantesque. Avec quelques nouveaux gadgets pour s’amuser en studio… Heureux comme des gamins, les Kings Of Leon ont goûté aux plaisirs léthargiques du delay et des claviers brumeux (voire carrément atmosphériques sur “Arizona”). Exit le swamp rock au groove cru, bienvenue les rythmiques implacables, les bourdonnements de basses aussi assourdissants que les rotors d’un hélicoptère et des riffs bien gras qui tachent, façon Stoner rock. Le choc provoqué par la première plage, “Knocked Up”, un puits sombre et profond de 7 minutes, provoque ouvertement Interpol – ces derniers vont certainement grincer des dents… le quatuor n’a jamais sonné à la fois si imbriqué et si inquiétant.

Derrière cette façade sombre, Because Of The Times contient autant de mélodies addictives que sur les opus précédents, mais elles bénéficient juste d’un traitement d’hormones à base d’essence Marshall. Voilà quelques mois, James Mercer des Shins, avouait que ce disque tournait en boucle dans le van du groupe. On comprend mieux ce qu’il en est maintenant : des refrains indélogeables – l’album se veut plutôt généreux en la matière. Le très rentre-dedans “Charmer” oscille quelque part entre le Pinkerton de Weezer et le “Song 2” de Blur. La voix éraillée de Caleb Followill, un diamant rare, tire incontestablement le disque vers le haut : le loup houle comme un damné sur “Black Thumbnail”, déchire ses dernières cordes vocales sur “McFearless”, ou encore file des sueurs sur le génial “Party” et sa rythmique funky plongée dans le mazout. Seul “True Love Way” et l’émouvant “Fans” se rappellent au bon souvenir des temps révolus. Mais la nostalgie est bien loin, rangée dans leurs boites à souvenir en croco… Pardonnez cette formule archi-ressassée, mais celle-ci est de circonstance : les Kings of Leon viennent de sortir un putain de disque rock’n’roll.

– Le site des Kings Of Leon