Alors alors ? La hype avait-elle raison en propulsant Pravda au devant de la scène punk-rock française ?
Les voilà donc, les Kills à la française… Le duo toxique et partousard Pravda vient de frapper les esprits les plus ouverts à la mode chic et choc qui fait fureur dans les arrondissements parisiens les plus en vue. Tout le monde en parle. Jean-Charles de Castelbajac, le créateur de feu sa Sainteté Jean-Paul II, les a embauchés pour un défilé qui se voulait provoc. Jean-Baptiste Mondino, le photographe qu’il faut avoir dans son book, les a shootés pour son livre de rock et de grattes pas très loin de Vanessa Paradis. On murmure même au Flore que Thierry Ardisson leur aurait serré la main alors qu’il était clean… Autant dire que tout sourit à ce duo sexy comme une combinaison en Skaï et beau comme un édito de l’hebdomadaire ELLE. Mais qu’en est-il quand on en vient à parler de choses sérieuses ? Qu’en est-il de la musique de Pravda ?
Dès le premier titre, « Tu Es A L’Ouest », le décor est planté. Pravda évolue dans le rayon surexploité de l’électro-punk, qui risque bien de connaître une crise du logement dans quelques temps. Des premières notes de synthé à la guitare incisive qui ébouriffe, des paroles vicieuses scandées dans un talk-over maniéré à la voix enfumée de Sue, tout sent ici une mécanique bien huilée, faite pour taper dur sur scène. Mais de là à marquer les esprits, il va falloir au duo développer des trésors de talent pour maintenir l’attention de l’auditeur sur la longueur d’un album. On garde en mémoire le retour frelaté et surmédiatisé d’Elli Medeiros qui n’a pas réussi à éviter l’écueil de l’autoparodie dans sa dernière livraison. On est donc plus que méfiant en écoutant les quatorze titres de l’album de Pravda.
Et on n’a pas tout à fait tort. Malgré une production franchement bien léchée, malgré des guitares méchamment putassières, malgré des ambiances backroom cheap, impossible d’être simplement séduit par A L’Ouest. Et pourtant, on ne peut reprocher à Sue de s’en donner à coeur joie, soutenue par un Mac taillé dans le roc. Tout ici respire la sueur des corps qui ondulent les uns contre les autres, tout est fait pour que l’on se déhanche jusqu’à la pointe du jour, le gosier imbibé de vodka et les narines explosées. Tout vous invite à fricoter avec la voisine, à vous vêtir de tenues SM dignes d’un reportage de seconde partie de soirée sur TF1. Les chansons y sont efficaces dans leur rythme, les machines vous électrisent et le duo se démène pour prouver combien c’est cool d’être sulfureux et camé jusqu’à l’os. Et d’ailleurs, Sue et Mac le disent eux-mêmes, leur groupe est un bedroom rock band(e) – à ne surtout pas confondre avec garage rock band.
Le problème de Pravda n’est donc pas dans l’attitude. Le problème est autrement plus profond puisqu’il se niche au coeur même de la bête, dans les chansons. Les textes, qui se veulent ouvertement explicites, sont surtout grossiers, écrits au gros feutre sur un ticket de Métro. Argument initial du duo, la vacuité de l’écriture qui se voulait drôle devient le handicap principal de A L’Ouest. On peut passer sur les claviers vintage estampillés 80’s, on peut pardonner les boites à rythmes vaguement aguicheuses, mais impossible de passer outre des textes aussi nuls. « Je Suis French, Do Not Touch » est à elle seule un concentré de clichés proto-punk qui, il y a trente ans, auraient pu, à la rigueur, provoquer un rictus à Malcolm MacLaren, c’est dire ! Tout y passe, les mots «prolétaire», «sexe» et «coke» y étant prononcés avec une arrogance d’adolescente en pension privée. « The A.B.C. Of L.O.V.E. » en devient même parfaitement ridicule. Vous voulez du «suck my dick»? Pas de problème, « Franck Sinatra » vous en livre par palettes. D’aucuns diront qu’il s’agit d’humour, mais tout cela baigne franchement plus du côté des Charlots que de Charlot.
Si cet album est sensé éclater Catherine Deneuve avec des chansons efficaces en surface, pourquoi pas, tout le monde a bien le droit de s’encanailler. Pour notre part, on préfèrera, et de très loin, l’inépuisable Robots Après Tout de l’ami Katerine qui a su combiner humour, techno, irrévérence et solidité des chansons. Ce n’est pas tout de vouloir provoquer, encore faut-il avoir le talent nécessaire. Ou plus grave, encore faut-il être honnête…
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