Les Gallois reviennent avec un album orageux. Et à l’image de leur équipe de rugby nationale, on aimera toujours cette force guerrière et respectueuse des règles de l’art autant que de l’adversaire, même lors des périodes de flottement.


Les Manic Street Preachers approchent de la quarantaine. Et cela se sent. Leur musique jusqu’ici musclée à l’extrême a tendance à se relâcher un peu, et l’embonpoint commence à se montrer. Mais même ventripotent, leur pop-rock amphétaminé demeure une valeur sûre. Trois ans après Lifeblood, album renversant et passé encore plus inaperçu qu’à l’accoutumée en France (un exploit), les Manic reviennent avec un Send Away The Tigers pyromane. Autant l’affirmer d’emblée, ce n’est pas l’album qui recueillera les suffrages d’éventuels nouveaux amateurs, en France en tout cas.

La première écoute de Send Away The Tigers laisse un goût amer en bouche. Sous la houlette du producteur Dave Eringa (déjà présent au manettes du dispendieux Know Your Enemy), cette musique emphatique, tous claviers et guitares dehors, appuyés par une batterie barbare, ne respire pas franchement la finesse. Les titres se suivent et semblent difficilement s’extraire de cette mélasse. Pourtant, avec un petit effort, en y revenant, en pointillés, la voix altière et si particulière de James Dean Bradfield fait à nouveau mouche. Et de fil en aiguille, les mélodies se font jour, et force est d’admettre que oui, décidément, les Manic ont un sens aigu de la mélodie qui claque, de la formule choc. Que ce soit sous des tonnes d’effets synthétiques comme ici, sous des camions de pédales ou sous des cargos de Watts, les Gallois savent décidément prendre l’auditeur au collet pour le convaincre que leurs chansons sont bonnes, et parfois même très bonnes.

Au début de leur carrière, le futur-disparu Richey James proclamait à qui voulait l’entendre que chez eux, ils étaient seuls, que rien ne leur arrivait, que les courants musicaux les avait oubliés. Il n’est pas impossible qu’aujourd’hui encore les Manic se tiennent volontairement à l’écart de toute mode. Fidèles à leur triple passion, littérature/The Clash/Guns’N’Roses, ils continuent leur mission d’évangélisation des masses sur des textes plus ou moins politiques, mais toujours avec des arrangements construits sur mesure pour le Millenium Stadium de Cardiff. De ce déluge sonore, quelques pièces finissent même par briller un peu plus que les autres. Difficile de réfuter l’efficacité carnassière de « Your Love Alone Is Not Enough » (où la voix de l’évanescente Nina Persson des Cardigans semble quand même noyée). Délicat d’ignorer la douleur qui sourd de « The Second Great Depression ». Impossible d’échapper à l’effet de blast généré par l’explosive « Rendition ». Et finalement, l’obstination paie, les 10 chansons originales de Send Away The Tiger sont autant de réussites décidément mal attifées. Quant au morceau caché (oui, les Manic font encore des morceaux cachés), c’est le coup de semonce. Nos sportifs sur le retour risquent bien de se faire pincer pour dopage, car leur version de « Working Class Hero » de Sir John Lennon semble bien bourrée jusqu’à l’os d’EPO.

Les Manic Street Preachers ne s’en tirent donc pas si mal dans ce disque trop flashy. Car, quoiqu’en dise le NME, un disque mineur d’un groupe majeur vaut toujours plus qu’un disque mineur d’un groupe (de) mineur(s).

– Le site des Manic Street Preachers

– Leur myspace