Retour sur la pointe des pieds de l’ami Jo avec un album de groupe pour le moins déstabilisant et fouillis. Mais l’obstination paie, et sous la crasse apparaît un disque d’une extrême complexité, parsemé d’hommages à ses aînés.


Difficile de suivre la carrière de Joseph Arthur. Son succès commercial étant inversement proportionnel à sa boulimie créatrice, le fan se doit de suivre à la trace la moindre publication du chanteur à la voix caméléon. Et autant dire que cette nouvelle livraison ne déroge pas à la règle. Seulement six petits mois séparent Let’s Just Be de Nuclear Daydream, l’album du retour à la simplicité. De plus, fatigué d’avoir à courir les labels, Jo s’est lancé dans le bain pour créer le sien, Lonely Astronaut. Et autant dire qu’il compte bien user et abuser de son statut de plénipotentiaire pour n’en faire qu’à sa tête.

C’est dans ce contexte de liberté artistique totale que Joseph Arthur a réuni quelques potes pour casser son rythme d’écriture, coucher sur le papier et mettre en boîte pas moins de 80 chansons, enregistrées en condition live et produites a minima. Let’s Just Be est donc la première livraison de 16 titres issus de cet énorme boeuf, une seconde fournée étant prévue pour l’automne 2007. Mais à l’issue de la première écoute de cet opus, on a beau être un indécrottable admirateur du chanteur d’Akron, pas sûr que notre enthousiasme demeure à la hauteur de celui qu’il a visiblement mis à se lâcher.

Quiconque a assisté à un concert de Joseph Arthur sait combien l’expérience est indélébile, tellement la tension et la douleur qui habitent l’artiste confèrent à ses sets un côté messe noire terriblement inquiétant mais franchement addictif. Et on attend tous qu’il enregistre dans les mêmes conditions un album intégralement inédit. C’est à peu de choses près ce qu’il s’est essayé à faire ici, toujours vissé à ses pédales d’oversampling. Sauf qu’il s’est entouré d’un groupe qui semble sérieusement alcoolisé. Certes, on sait combien l’alcool à hautes doses peut être un catalyseur formidable lors de l’enregistrement d’un disque de groupe, ce ne sont pas Neil Young et ses Crazy Horses qui nous contrediront, Tonight’s The Night en étant la preuve presque irréfutable (se soldant quand même par la mort brutale d’un des acteurs).
Malheureusement, s’il est aisé de soupçonner que sa liberté toute nouvelle lui confère un état d’esprit de gamin longtemps privé de joujoux, on comprend difficilement son goût pour la surcharge pondérale, son appétence pour les possibilités infinies d’une table de studio. Il ne sait pas s’arrêter, il en rajoute des tonnes. Certains albums frisent même la correctionnelle. On pense particulièrement à Our Shadow Will Remain ou Redemption’s Son, sauvés par des compositions jubilatoires.

C’est, une fois encore, le défaut majeur de Let’s Just Be. Ses chansons qui se suffisent pourtant largement à elles-mêmes se voient affublées d’effets lourdingues (reniflements et miaulements en tous genres parsèment les titres les plus obscurs de ce très long disque) quand ils ne sont pas franchement douteux. La chanson « Lonely Astronaut », idéalement placée à la charnière de l’album, en est le parfait exemple. Sur un lit d’accords folk cristallins, le chant est une complainte sidérante, la mélodie somptueuse et la production vertigineuse. Mais sans que l’on sache très bien pourquoi, au bout de 5’30 minutes de ce miel, Joseph Arthur saborde littéralement son travail pour se lancer dans une performance studio ridicule, une bouillie sonore infâme qui a le mauvais goût de s’étaler sur plus de 10 minutes ! On est donc en droit, au bout de 5’30 de cette chanson, de passer au titre suivant.

Qu’on se rassure, l’écriture est toujours aussi capable d’éclats, certains titres s’avérant même d’ultimes joyaux. Des morceaux tels « Chicago », « Take Me Home », « Lack Of Vision » ou « I Will Carry » n’ont rien à envier à « Mikel K », « In The Sun » ou le très récent « Enough To Get Away ». Joseph Arthur est encore l’immense songwriter qui explosa en plein milieu de l’année 1996. Finalement, il serait plus juste de prendre ce disque comme une mégarécréation, un pur délire au cours duquel Jo a décidé de rendre hommage à ses maîtres.
A ce titre, sa ressemblance vocale avec Frank Black y est parfois déroutante. Quant à son clin d’oeil appuyé aux Rolling Stones et aux Beatles sur la chanson titre, il est particulièrement réussi, ce blues contemporain de Exile On Main Street est criant d’authenticité. D’autres hommages plus discrets y font merveille, comme cet appel du pied à Sparklehorse à la fin de « Lack Of Vision ». Enfin, « Cocaïne Feet » ne ressemble pas à un hommage à Nirvana, mais bel et bien à un inédit du trio de Seattle période In Utero, pas moins, tout comme « Gimmie Some Company », magnifiquement interprétée par l’élue de son coeur; on ne sait trop si l’on doit en rire ou applaudir à tout rompre tant le mimétisme est total.

Ce disque barré est donc à l’image de son auteur, un homme blessé mais libre, mort et ressuscité maintes et maintes fois, qui n’a plus peur de rien ni personne. Et un artiste qui a été capable de livrer l’inoxydable série des Junkyard Hearts (ces quatre maxis mis bout à bout constituent le véritable chef-d’oeuvre de Joseph Arthur) peut désormais tout se permettre. Il faut donc s’armer d’une dose chevaline de courage pour affronter la jungle de ce disque. Mais, moyennant quelques impasses, l’effort en vaut la chandelle. Et il est désormais établi pour l’éternité qu’un disque de Joseph Arthur, ça se mérite.

– Son site officiel fait maison

– Son Myspace

– Le site de son label [Lonely
Astronaut->http://www.lonelyastronautrecords.com]