Stoner, le monde est stoner.


Âmes sensibles, s’abstenir.

Cinquième album des Queens Of The Stone Age, après cinq albums de Kyuss, un brulôt power pop amphétaminé sous l’appellation Eagles Of Death Metal et au moins 10 Desert Sessions dans les pattes, et pas le moindre signe d’avachissement chez le grand rouquin. Joshua Homme, quelle que soit l’identité de son groupe, quels que soient les francs-tireurs dont il s’entoure, quel que soit l’état de propreté de sa chemise de bûcheron, est un auteur-compositeur de plus en plus reconnu et respecté. Il n’en est pas moins une bête de scène doublée d’un requin de studio. Bref, Josh Homme est un des artistes majeurs dans la scène rock tendance lourde. Era Vulgaris nous inciterait même à le positionner définitivement au-dessus des troupes. Marilyn Manson pourrait égorger des enfants sur scène, il n’atteindrait pas la cheville de l’impact des QOTSA. Qui aurait cherché du côté du métal, ou de sa variante stoner un songwriter accompli ? Et pourtant, Era Vulgaris achève d’imposer Josh Homme comme une des plumes les plus passionnantes du rock qui déchire. Voire du rock en général.

Après un Songs For The Deaf (2002) écrasant et un Lullabies To Paralyse (2005) proprement meurtrier, Josh Homme revient aujourd’hui avec la très ferme intention de conquérir tout ce que la planète compte d’oreilles. Mais au lieu de draguer les foules avec une musique accessible à tous, il adopte plutôt la méthode terroriste, sa musique s’apparentant plus à un gaz hautement toxique sous son odeur de souffre qu’au doux parfum de patchouli éventé distillé par des palanquées de groupes plus risibles que « violents » – les insupportables Good Charlotte, Limp Biskit et cons-orts. Car s’il prodiguait jusqu’à présent des leçons de violence musicale sur ses disques les plus officiels, il réservait ses expérimentations pop ou folk pour ses Desert Sessions aussi inégales que difficiles à dénicher.

Mais il s’est passé quelque chose sur les dernières en date, en l’occurrence les Desert Sessions 9 & 10 (2003). Regroupées sur un seul et même album, ses sessions enregistrées à domicile constituaient une véritable somme de chansons aussi variées que déroutantes, illustrant une culture bien plus riche que prévu. On se souvient notamment de l’intervention de la féline PJ Harvey sur « There Will Never Be A Better Time », sorte de flamenco incantatoire noir de jais. D’ailleurs, la belle du Dorset ne s’y était pas trompée en reprenant ce titre seule à la guitare sur la tournée qui suivit l’album Uh Huh Her, liquéfiant définitivement les foules. Preuve de ce pont enfin jeté entre son groupe mainstream et ses échappatoires champêtres, la chanson « I Wanna Make It Wit Chu » présente sur ces dernières sessions désertiques est ici revisitée et «nettoyée» sous l’appellation « Make It Wit Chu ».

Era Vulgaris rompt en effet avec l’aspect monolithique jusqu’ici en vigueur chez les QOTSA. Certains morceaux, vénéneux à outrance, sont d’étonnantes compositions blues-psyché ou folk, mais du folk en état de décomposition avancée. Outre « Make It Wit Chu », boogie cramé et brinquebalant, on peut citer « Suture Up Your Future » qui s’ouvre sur une sorte de post-rock malade pour se prolonger dans un folk-rock aussi appétissant qu’une limace écrasée. D’autres titres de facture plus «classique» pour QOTSA se voient entrecoupés de plages étonnamment pop, tel « 3’s & 7’s » dont on croirait le refrain tout droit sorti d’un disque fantôme des Manic Street Preachers – ce qui ne laisse pas de dérouter le fan de première heure. Ainsi donc, notre Homme s’affranchit-il ouvertement du temple dont les médias en ont fait le gardien, en prenant un plaisir malsain à cette trahison.

Mais qu’on se rassure, tout ce qui a contribué à l’immense succès des QOTSA jusqu’ici est encore une fois au menu de ce nouveau brûlot. Production monstrueuse, guitares acerbes et/ou tranchantes, basse tellurique, batterie martiale, rythmes et riffs dévastateurs constituent toujours les éléments de cette alchimie mortifère. Le premier single, le fulgurant « Sick, Sick, Sick » voit même le sympathique Julian Casablancas (leader des millionnaires Strokes, pour les étourdis) scotché au mur du studio sous les coups de buttoir particulièrement assassins du groupe, l’obligeant ainsi à chanter dans une tonalité bien plus grave et suffocante que ce qu’il propose dans son groupe. Ce titre hallucinant justifie à lui seul l’acquisition d’Era Vulgaris.
Si Nick Oliveri n’est toujours pas réhabilité et Dave Grohl demeure provisoirement écarté du carnet d’adresses de Josh Homme (probablement pour cause de fricotage trop appuyé avec la mielleuse Norah Jones), le combo QOTSA cuvée 2007 n’en demeure pas moins un groupe à la force de frappe inouïe. A ce niveau, ce n’est d’ailleurs plus un groupe, c’est une armée de mercenaires. Plus concis quoique plus fuyants qu’à l’accoutumée, les morceaux strictement stoner lâchés par ces brutes, sous leur écriture complexe et après une première approche déceptive (largement à tort, vous l’aurez compris), se révèlent d’authentiques bombes à fragmentation, des mines anti-personnel à la sournoiserie passible du TPI.

Une question se pose, finalement : laisseriez-vous votre fille sortir avec un membre des Queens Of The Stone Age ?

– Le site « ampoulé » du groupe.