« Ce qui a rendu littéralement irrésistible mon désir d’« interpréter » musicalement l’univers de Pasolini c’est ce sentiment d’ « unité polymorphe » qui se dégage de l’oeuvre. Elle démontre à chaque instant une capacité extraordinaire à réunir les contraires – non seulement les cultures populaire et académique, le sacré et le profane, mais également des dimensions politiques, éthiques, religieuses très peu souvent mises en relation de cette manière. » Après le vibrant hommage de François Couturier rendu au cinéaste russe Andreï Tarkovski (Nostalghia, Song for Tarkovsky), paraît sur le décidemment incontournable label ECM une splendide « interprétation musicale » de l’univers de Pier Paolo Pasolini par Stefano Battaglia. Pour son second enregistrement chez ECM, le pianiste italien consacre un double album ambitieux à l’auteur de Salo, une des figures artistiques majeures des années 60-70, avec le souci de restituer l’unité poétique d’une oeuvre plutôt réputée – à tort – pour être disparate. Deux disques qui explorent deux facettes de cet écrivain dont la vie fut « traversée par le cinéma » (Hervé Joubert-Laurencin). D’abord, le lyrisme recueilli et la mélancolie introspective (CD1) ; ensuite, l’expérimentation libre et le choix du sens suspendu (CD2). Un jazz conjugué à deux styles, la musique classique puis contemporaine, par respectivement deux formations parcourues par les mêmes frémissements de plaisir : un sextet qui n’est autre que le Pietra Lata Sestetto, puis un quintet dans lequel figurent les deux français Vincent Courtois (violon) et Bruno Chevillon (contrebasse). Volontairement, Battaglia a éludé la dimension scandaleuse et provocatrice de l’art controversé de Pasolini. Dans ses compositions nuls soubresauts intempestifs ne viennent perturber un équilibre qui, s’il est souvent hanté par sa propre chute, demeure intangible d’un bout à l’autre des disques. Si le Köln Concert de Keith Jarrett nous revient plus d’une fois à la mémoire (album dont Manni Moretti utilisa un morceau dans une séquence particulièrement poignante de son Journal intime, lorsqu’il retourne sur le lieu où fut retrouvé le cinéaste assassiné en novembre 1975), ce Re : Pasolini vaut surtout pour les résonances impressionnistes qu’il entretient entre les plages, la gamme d’émotions à travers laquelle il vient puiser ses beautés immobiles et la teneur spirituelle qu’il revêt dans l’économie des notes puis l’affranchissement des formes.
– Le site de ECM.