De la musique comme une accumulation et dispersion infinies de matières sonores. Si la musique est dans les sons, voire « au coeur du son », comme l’indique dans le livret de ce Soffio di Scelsi le clarinettiste Jean-Marc Foltz, encore faut-il donner à ces sons un sens, une direction vers laquelle tendre, fût-ce soi-même. Sans quoi le bruit domine. Et le compositeur Giacinto Scelsi (1905-1998), à qui Foltz rend hommage avec ce très beau disque, de rajouter : « Le son est le premier mouvement de l’immobile ». En quatorze courtes pièces qui sont autant de songes seulement différenciés par un chiffre (de “Sogno I” à “Sogno XIV”), ces trois musiciens qui avaient déjà emprunté un Itinéraire imaginaire (Sketch, 2004) commun s’accordent de nouveau à mettre des notes sur leur désir de musique. Fascinés par le silence, ils construisent des tableaux sonores indéterminés, successions de stases instrumentales, de mo(uve)ments furtifs et souvent inachevés, sans véritable début ni fin, dont l’enchevêtrement secret laisse percevoir un sentiment de profonde introspection. Chacun exploitant, outre les tonalités et sonorités de son instrument de prédilection (clarinette/piano/contrebasse), des percussions et caisses claires au fort pouvoir incantatoire, cet univers vivant s’enrichit ici et là de battements organiques qui rajoutent à la puissance énigmatique, si ce n’est inquiétante (“Sogno VII” et son acmé finale angoissante) de l’ensemble. Acentrées, ces compositions/improvisations relèvent davantage d’une combinatoire de sensations et d’impressions, de tensions et de détentes, de sensibilités qui se croisent, se heurtent, s’épousent, que de lignes mélodiques clairement identifiables. Une telle alchimie musicale ne pouvait prendre forme sans un lieu tout autant habitable qu’habité : les Studios La Buissonne, avec son maître-ingénieur du son de maison Gérard de Haro, s’affirment sans ambages comme le cadre musical idoine à cette fascinante hantise acoustique.
– Le site de La Buissonne.