Pour cette 5e édition de Rock En Seine, les organisateurs ont vu encore plus grand : une troisième journée s’est greffée, totalisant ainsi 45 concerts. Du rock bien sûr, mais aussi de l’électro (UNkle), du jazz (Eric Truffaz), et de la variété française « rock » (Rita Mitsouko, Emilie Simon). Faute de temps, nous nous pencherons seulement sur les deux premières journées, les plus consistantes à notre goût, avec un pic de programmation particulièrement notable le vendredi. Jugez l’impressionnant défilé scénique : Arcade Fire, The Shins, Dinosaur Jr, The Hives, Mogwai ! Une tuerie préprogrammée sur les potards des amplis Marshall.
Vendredi 24 Août
Double sale temps en cette fin août. Comme d’habitude, serait-on tenté de dire, il fait moche au parc de Saint-Cloud. Bien pire que les nuages lourds qui nous narguent devant la Grande Scène, on rentre de vacances la veille, assommé en apprenant la disparition de deux grands piliers du rock alternatif : le cowboy crooner Lee Hazlewood et le moins connu mais aussi prépondérant Tony Wilson, visionnaire fondateur du label Factory. Du coup, les derniers jours de vacances semblent bien tristes. Sans compter que lundi la grisaille parisienne recommence…
La journée commence mal. Les parisiens du groupe Rock N’Roll (non, dites moi que c’est une blague un nom pareil !), en remplacement de Patrick Wolf, démènent leurs guitares électriques sur la scène de la Cascade. De loin, on croirait entendre les Naast ou un énième groupe de rock pubère sorti du Gibus dont les membres auraient décidé de sacrifier leur vie sur l’autel de ce clochard de Pete Doherty. De plus près, il faut admettre qu’ils ont l’air de se débrouiller un peu mieux que le reste de la bande. Mais voilà, leurs mélodies rentrent par une oreille et ressortent par l’autre aussi vite, même avec des bouchons bien enfoncés. Qu’est-ce qu’on retient ? Ha si ! La présence d’un proto-aspirant de Joel Gion (Brian Jonestown Massacre) vêtu d’un manteau de cuir long (il fait froid mais quand même), qui, lorsqu’il n’est pas trop occupé à secouer son tambourin, joue les destroy de service. On se figure que le gars est censé pimenter la scène de sa présence charismatique, mais le « tambourin man » n’a pas l’air de complètement assumer son rôle. C’est plutôt marrant à observer. A un moment donné, il balance son instrument dans la foule, on se dit que l’affaire est dans le sac et qu’on ne le reverra plus. C’était sans compter sur le roadie qui lui jette aussitôt un nouveau joujou, tout neuf. Forcément, ça coûte moins cher que de balancer une guitare électrique. Rock’n’roll…
A gauche, sur la petite scène de l’industrie, les Rodeo Massacre sont nettement plus sauvages et crédibles malgré leurs pulls marine et pantalons latex (?!). On passe un pure moment de rock’n’roll en compagnie de la chanteuse suédoise platine et de ses lieutenants rebelles. Sur la Grande Scène, on jette un œil sur la performance du rapper londonien Dizzee Rascal dont les textures électroniques n’attirent pas les foules en ce début d’après-midi. A l’autre bout du parc, les Rodeo Massacre sur la petite scène ont rassemblé autant de monde…
Mais le premier véritable évènement de la journée, c’est la venue des légendes indie-rock américaines Dinosaur Jr. Beaucoup de nostalgiques se pressent pour assister au show du trio reformé sous son line up historique soit, Lou Barlow, J. Mascis et le batteur dégarni Murph. Sur scène, les 10 têtes d’amplis Marshal serrées comme des sardines n’occupent que la moitié de la scène. L’entrée du trio passe presque inaperçue, on croirait des roadies venu installer le matériel. S’il est de notoriété publique que le rondouillet J. Mascis n’a jamais été une bête de scène, le nettement plus souriant Lou Barlow contrebalance ce manque patent de présence scénique en interpellant régulièrement le public «venu passer sa journée rock». En revanche, dès que le volume de la guitare de J. Mascis monte, c’est tout autre. Bordel, c’est le mot, quelle déflagration ! C’est l’évidence même : si le virtuose de la guitare grunge a pris du poids, c’est parce que trois entités ont pris possession de son corps : Josh Homme, Kevin Shields et son sosie John Kalodner, directeur artistique excentrique des années 80 qui avait signé moult groupes de hard rock.
Mais il est déjà 17h et l’on se presse vers l’espace réservé aux médias. Et pour cause, les vedettes de la soirée, Arcade Fire en personnes donnent une conférence de presse. Et du coup, on se rend compte qu’en quatre années passées à St Cloud, c’est la première fois qu’on accepte d’assister à ce genre de conglomérat journalistique. Dans une petite tente, le multi-instrumentiste à lunettes Richard Reed Pary, Jeremy Gara (batterie) et Tim Kingsburry (basse, guitare) se présentent à une quinzaine de journalistes. Nous sommes peu clients de ce genre de rendez-vous où, en général, le temps est court et les questions tellement clichées qu’on n’oserait même pas les poser à Ringo Starr. De plus, la basse assourdissante de Mogwai rend la rencontre tout bonnement inaudible. On retiendra cependant, et surtout, la modestie et la gentillesse des Canadiens, visiblement épuisés de tourner malgré le plaisir d’être toujours là. A la question d’un journaliste demandant de définir leur musique, Jeremy Gara lui répond : « nous sommes tout simplement un groupe de rock’n’roll qui écrit des chansons avec des structures simples ». Quant à votre humble serviteur, il n’a pu s’empêcher de leur demander si « Windowsill » figurera ce soir sur la set list. Richard Reed Pary, prenant un air mystérieux, laisse entendre qu’il y a des chances, si le public est « up ». Confirmation tout à l’heure.
Vingt minutes plus tard, nous étions déjà de retour sur la pelouse de Saint-Cloud pour assister à la performance sonique des post-rockers écossais Mogwai. Sur la Grande Scène, les guitares stridentes, irradiées, emportent tout sur leur passage. Le son est spectaculaire. Le groupe joue fort, tellement fort qu’un instant, en marchant sur la pelouse, on jurerait qu’une centrale nucléaire venait d’exploser derrière la colline. Nos poils se hérissent rien qu’en repensant à cette scène. Certainement le concert le plus puissant entendu à ce jour à Rock En Seine, ce malgré quelques baisses de régime (quelques caprices au vocoder). On a manqué du coup la pop acoustique et vivifiante des Hey Hey My My, chouchous de la Pinkushion Team. Ce n’est que partie remise.
Les magnifiques The Shins ont également droit à la Grande Scène pour leur première prestation. Et ce n’est que justice, tant tout le monde s’accorde à penser que leur pop raffinée est ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle. Pour leur premier festival français, la set list est mieux équilibrée entre les trois albums que lors de la prestation donnée à l’Elysée Montmartre au printemps dernier. Le quatuor s’est adjoint les services d’un cinquième membre au clavier et à la pedal steel, dont il use plus que de raison. Les vocalises haut-perchées de James Mercer sont d’une pureté rare, mais le son ne suit pas toujours et ruine certains de leurs meilleurs moments : “Saint Simon”, “Australia”… En demi-teinte, dommage.
Un bref détour par la Scène de la Cascade, où nous avons rendez-vous avec le pays merveilleux d’Emilie Simon. Un show sans tache, entouré de musiciens requins de studios, et qui ne nous marquera donc pas. On ne s’éternise pas, il reste un peu moins d’une heure avant le prochain concert, ce qui laisse le temps de se promener dans la zone « kebab » implantée en plein milieu du site. Cette année, on a même trouvé deux stands de spécialité « corses » ! Avec des sandwichs au figatellu pour les fins connaisseurs, même si ce n’est pas la saison pour manger cette spécialité de l’île de beauté… S’il est vrai qu’à Rock En Seine on dénombre une bonne trentaine d’installations commerciales, il faut aussi admettre que les stands de pipes à eau et autres commerces affligeants du genre sont absents. Paris oblige, tout ici est plus fashion, avec des stands Levi’s, une « Garderie Rock » (ne me demandez pas à quoi ça sert), même la tente Heineken ressemble plus à un bar lounge top tendance (avec des imposants Mr. T postés à l’entrée) qu’à un repaire de pochetrons gras du bide. En attendant, on jette un œil sur l’originale exposition de l’artiste Anglais Craig Robinson, qui s’est fait une spécialité de pixelliser les icônes rock en les transformant en variantes de bonhommes Lego.
Dès leur entrée, The Hives savent mettre le public dans leur poche. Un par un, ils rentrent en scène et branchent leurs instrument (une idée piquée à Morrissey ceci-dit, qui lui-même avait dû la piquer à quelqu’un d’autre auparavant), avant de tout envoyer valdinguer. La Cosa Nostra de Fargesta (Suède) aurait pu être coachée par Tarantino himself tellement la maîtrise du show coule dans leurs veines. Ils sont marrants, ils assurent et cultivent leur réputation en s’autoproclamant meilleur groupe de rock du monde » dixit Pelle Almqvist, leur chanteur/entertainer. Si les compos du quintet sont basiques, leur dextérité du riff à trois accords mineurs n’est pas à la portée de tous. De l’art de savoir faire sonner un riff… Leur hymne punk/pop “Hate To Say I Told You So” provoque un véritable carnage dans la fosse. Les trois inédits jetés en pâture, tirés de leur album à paraître en octobre, ont vraiment de la gueule.
Ceux qui ne raffolent pas d’essence rock (mais pourquoi viendraient-ils à Rock En Seine alors ?) pouvaient toujours se rabattre sur le set des 2 Many Dj’s, avec leurs redoutables beats ficelés avec quelques célèbres accords électriques. Le duo belge prépare le terrain à Arcade Fire avec leur version surboostée de « Rebellion (Lies) ». Les rois de la soirée peuvent maintenant monter en triomphe sur scène.
Pour ceux qui ont raté les deux dates à l’Olympia (archi complet), ce soir est la séance de rattrapage inespérée pour voir la sensation rock Arcade Fire. Et le budget a sérieusement été revu à la hausse depuis leur première date au Nouveau Casino voilà deux ans et demi. Le décor scénique est imposant : d’énormes projecteurs ont été installés sur la Grande Scène où se reflète la désormais fameuse bible de néon, sur la gauche trône un orgue à tuyaux, instrument qui prend toute sa mesure sur la sainte épopée “Intervention”. Mais c’est avec “Keep The Car Running” que les Canadiens décident d’ouvrir leur show, sous une ovation bien entendue. Avec désormais dix musiciens sur scène (deux cuivres, un second violon), le groupe n’est toujours pas assez nombreux pour retranscrire toute la puissance qu’impose leur second album, Neon Bible, qui les a pour ainsi dire confortés dans leur position de nouveaux Radiohead. A vrai dire, on sent les Canadiens un peu lessivés par leur tournée, alternant grand moments et d’autres un peu longuets. La faute à quelques titres dispensables de Neon Bible, mais aussi, et c’est plus problématique, à des interprétations pas à la hauteur de Funeral. Certes, il y a des instants magiques “The well & the Lighthouse”, “No Cars Go” et, évidemment, beaucoup d’autres tirés de Funeral. Lorsque la petite fée Regine Chasagne s’assied derrière les fûts pour “Windowsill”, apothéose de Neon Bible, l’urgence manque. On sent le groupe un peu détaché, pas assez concentré à notre grand regret. Il est pourtant indéniable que le groupe se démène sur scène : Richard Reed Pary donne tout, mais la fatigue l’emporte. Peut-être attendons-nous toujours trop de la part de ses apôtres de la démesure ? Le rappel avec “Wake Up” nous laisse quand même un bon souvenir lorsqu’on y repense dans le tunnel du retour. Mais ce n’était pas le concert qu’on attendait d’Arcade fire.
Samedi 25 Août
Quel temps splendide ! Jarvis Cocker a trouvé une formule qui va à ravir : Le parc «sans-cloud» (cloud = nuage en anglais). Et les faux frères Fratellis contribuent avec le ciel bleu à nous filer la patate en ce début d’après-midi. Le trio écossais s’impose comme la digne descendance de Supergrass avec leur britpop surboostée de riffs Les Paul et cuivres heureux. Jon Fratelli, qui tient la barque, a l’allure d’un Marc Bolan sans platform-boots et en nettement plus timide. Le garçon prend tellement son pied qu’il en oublie de jouer « Henry », leur tube. Très efficace. Aux antipodes de la Grande Scène, on assiste à la fin de la prestation cataclysmique des frenchies I Love UFO’s. Bruitiste et métallique, le trio parisien n’a rien à envier à la bande à Mike Patton en termes de furia rock déviante. Cela tranche sec sur la Scène de la Cascade avec les gentils jeunots de Hello Goodbye, et leur pop dansante. La recette est simple, une louche d’indie rock pour ne pas trop sonner sucré et une section rythmique qui évoque parfois Franz Ferdinand. Sympa sur le moment, mais avec le recul, on ne se souvient plus de rien.
C’est la blague récurrente durant le festival : la diva destroy Amy Winehouse a finalement say yes yes yes pour rentrer en Rehab’. Sans surprise. Sa présence nous aurait plutôt étonnés. Pourtant sa prestation à l’île de Wight diffusée sur Arte nous avait donné l’eau à la bouche. Ce sont donc les Cold War Kids qui sont venus la remplacer au pied levé. Les Américains ont seulement une vingtaine d’années, mais on leur donne facilement dix ans de plus. Pas seulement physiquement, leur rock moite, rugueux, est d’une maturité surprenante. Si leur premier album ne tenait pas toutes ses promesses, sur scène, les compositions renaissent. La voix très chaude de Nathan Willett, y est pour beaucoup, ce charismatique blond au faux air de Woody Harrelson (quelqu’un derrière moi l’a pris pour Josh Homme). L’opportunité de jouer sur la Grande Scène est du pain béni, ils le méritent amplement.
La présence du jazzman suisse Erik Truffaz dans un festival rock pourrait surprendre. Pour insuffler un peu de piment à son répertoire, le trompettiste du label Blue Note a invité sur scène le prodige anglais Ed Harcourt à chanter les titres de son dernier album, Arkhangelsk qui se révèle un peu plus consistant à l’air libre. Dommage que le concert a lieu en plein milieu de l’après-midi, on aurait préféré une ambiance plus tamisée. On s’échappe avant la fin, car c’est pour les amateurs de pop, ça se passe sur la grande scène avec Jarvis Cocker. Toujours svelte, l’ancien amuseur charismatique de Pulp n’a pas perdu de son flegme légendaire : il bondit, bavarde avec le public, fait tournoyer son micro, bavarde toujours, dédie deux morceaux, l’un à Lee Hazlewood, l’autre au spectateur bourrin qui prend un bain de boue… On pardonne tout à ce personnage attachant, même sa set list faisant l’impasse sur la période glorieuse de Pulp.
Le hold-up de la journée a été effectué par les amazones punk de CSS (Cansei De Ser Sexy). On assiste sous nos yeux à un festival de couleurs flash, un carnaval de Rio version trash. Les hymnes punk-dance des cinq tornades brésiliennes sont franchement scotchants, et délivrés avec le sourire, ça fait plaisir. Le sourire, un mot que ne connaissent certainement pas les frères Reid. Rabibochés après huit ans de fâcherie, les Jesus & Mary Chains font la tournée des grands festivals européens pour amasser un maximum de pognon (l’école Pixies on nous souffle). Dans un sens, ils restent fidèles à leur arrogance légendaire. La déception pointait mais il n’en est rien, les lascars Jim et William ont de beaux restes. La distorsion poussée au maximum, ils enchaînent leurs classiques : « Head On », « Happy When it Rains » et le sacro-saint « Just Like Honey » évoquent dignement un passé lointain où ces frères-là régnaient sur la planète noisy pop, bien avant BRMC et les Raveonettes. La voix de Jim est toujours aussi génialement nonchalante, les solos à deux notes de Will sont une leçon rock à eux-seuls. Décidément, les dinos de l’indie rock ont la pêche à Rock En Seine.
On pourrait ensuite continuer à vous parler plus en détail de la prestation pépère des Rita Mitsouko ou du metal arachnéen de Tool et sa surenchère de vidéos glauques sous-lynchéennes et grotesques (d’autres pseudo « freaks » comme Marylin Manson et NIN en abusent, aujourd’hui même Tokyo Hotel le fait, c’est dire). Non, sans aucun doute pour nous, les têtes d’affiche étaient les frères Reid.
Le site de Rock en Seine
A Lire également :
-Arcade Fire – Neon Bible
-The Shins – Wincing The Night Away
-Dinosaur Jr. – Beyond
-Hey Hey My My – S/T
-Jarvis Cocker – Jarvis
-Cold War Kids – Robbers & Cowards
-Erik Truffaz – Arkhangelsk
-Cansei De Ser Sexy – CSS