Déjà le douzième album pour cet éternel enfant qui ne se satisfait pas du monde dans lequel il évolue, une pierre de plus dans une oeuvre passionnée et passionnelle. La légende vit, toujours plus forte.
Travailleur acharné, chroniqueur de son époque, ancien journaliste, combattant pour la liberté (il s’est rendu en Espagne à l’époque franquiste), touche à tout de talent, Theo Hakola ne s’arrête jamais. Que ce soit à titre personnel ou dans l’ombre des autres, ce natif de Spokane (USA) est avide d’expériences artistiques. Qu’il peigne, qu’il produise les disques de ses amis, qu’il écrive des romans, Theo Hakola donne tout à chaque nouvelle étape d’une oeuvre qui commence à devenir prépondérante. C’est donc peu dire qu’un nouveau disque de ce gandin est toujours un évènement. En effet, sur le plan strictement discographique, sa dernière actualité remonte à 2000, avec La Chanson Du Zorro Andalou, une sorte de comédie musicale sur fond de légende désertique. Aussi, Drunk Women and Sexual Water est son véritable premier album depuis l’inépuisable Overflow (1996).
Alliant folk, punk, blues et poésie, le style de Theo Hakola ne ressemble qu’à lui. A l’époque d’Orchestre Rouge ou de Passion Fodder, Theo Hakola privilégiait déjà le texte, le chant comme ultime arme capable d’imposer ses récits tour à tour noirs ou mystiques, ou sous forme de contes chimériques. A charge de ses acolytes de tresser un nid mélodique à même d’accueillir des proses aussi longues que puissantes. Malheureusement pour lui, Theo Hakola a un défaut, celui d’être un contemporain de Nick Cave, auquel on le compare systématiquement à cause d’une voix étonnamment proche, comparaison qui, malgré l’amitié réciproque et profonde qui lie les deux hommes, a toujours desservi l’Américain.
Pourtant sa musique est reconnaissable entre toutes. Ayant digéré très rapidement les turbulences de la cold wave, Theo Hakola se distingue dès lors par une capacité unique à mixer cette musique très noire et clinique avec des arrangements baroques. Et cette fusion laisse éclore une musique de cabaret dans un décor de dépravation, de fin du monde ou de ruines fumantes.
Drunk Women and Sexual Water est un album d’une longueur exceptionnelle pour l’époque (près de 80 minutes pour 14 chansons). Toutefois, quiconque a déjà goûté aux fruits livrés par Theo Hakola ne sera pas dépaysé. Les thèmes chers au grand rouquin émacié sont à nouveau au rendez-vous : amours impossibles parce que contraires aux moeurs, foi, contemporanéité, le tout sous forme de diatribes incandescentes ou de récits puisant dans le mode de transmission des Indiens d’Amérique (autre thème récurrent), sans jamais oublier une petite pointe d’humour tendre.
Ce qui frappe en revanche, ici, c’est le retour inespéré d’une certaine rage musicale. Les guitares y sont tour à tour abrasives ou cavaleuses, la batterie virevoltante et les cordes arachnéides. Et l’effet d’urgence tranche avec un chant de plus en plus posé et modéré. On sent l’homme qui a vécu et qui sait comment marquer les esprits. Si bien que Drunk Women and Sexual Water se révèle un album imposant et ténébreux, mais malgré tout particulièrement généreux en émotions.
De fait, Drunk Women and Sexual Water finit d’imposer Theo Hakola en référence pour bon nombre de groupes essentiels, qu’il s’agisse de Noir Désir (dont il produisit le premier EP, Où Veux-Tu Qu’Je R’garde, en 1987), Sixteen Horsepower (Pascal Humbert et Jean-Yves Tola furent respectivement bassiste et batteur de Passion Fodder avant de rejoindre David E.Edwards au sein de 16HP), Louise Attaque, Hurleurs (qu’il produisit également en 1996), Dionysos… Et de là, tous leurs petits frères qui doivent ignorer l’existence même de Theo Hakola.
Au final, Theo Hakola propose un contrepoids passionnant à l’ensemble de la production rock actuelle, opposant au rock direct et vite balancé des jeunes pousses ses chansons profondes, denses, qui demandent un certain niveau de concentration pour en capter toutes les subtilités. Le poids de l’expérience en somme.
– Le site de Theo Hakola