Oui, je le veux…


St Vincent alias Annie Clark, du haut de ses 23 ans, n’est pas une jeune première. A l’instar de Joan Wasser – de Joan As A Police Woman – ou Leslie Feist, la jeune américaine a usé ses guêtres aux côtés d’aventuriers de la musique, mentors à même de provoquer une seine émulation dans leur entourage plutôt que d’écraser leurs collaborateurs. En l’occurrence, Annie Clark officie à tour de rôle au sein des barrés de Polyphonic Spree et aux côtés du désormais essentiel Sufjan Stevens. Pas étonnant du coup que ce premier album soit à ce point dense, bigarré et lumineux. C’est simple, Marry Me est un carton annoncé, supplantant la précitée Feist, et creusant un peu plus le gouffre entre l’Amérique et l’Europe dans ce style aussi consensuel que casse gueule, la variété de grande qualité.

Les amateurs de l’illuminé Sufjan Stevens seront ici en terrain connu. Mélodies hautes en couleurs, instruments innombrables, harmonies vocales angéliques, hand-claps discrets, la patte du jeune éphèbe est facilement identifiable ici. Néanmoins, rien à voir avec un devoir d’allégeance chez St Vincent. La jeune fille est suffisamment douée pour alterner entre des genres aussi variés qu’atypiques de son propre chef. Il n’est pas une chanson qui ressemble à une autre tout au long de Marry Me. Quand le disque s’arrête, on reste les bras ballants devant une telle démonstration de talent tant la palette de sonorités et d’arrangements est bluffante.

L’épique « Now Now » qui ouvre le bal, tout en contrastes et harmonies, repose sur une rythmique atomique et sèche qui tranche avec la sublime voix d’Annie Clark, appuyée par des choeurs enfantins et/ou ingénus, pour se finir en apothéose dans un déluge sonique à l’onirisme éblouissant. Le voyage enchanteresque peut commencer. Et d’expériences vocales (« Jesus Saves, I Spend ») en ballades bucoliques ou amoureuses (« Marry Me »), Annie Clark mène son prétendant (l’auditeur) par le bout du nez.
Quand il se voit partir pour un moment propice à la séduction, sur la foi d’une introduction aguicheuse, le voilà plongé dans un univers inquiétant et agressif via la velvetienne « Your Lips Are Red », voire carrément hispano-médiéval sur « Paris Is Burning ». Plus loin, sur « All My Stars Aligned », nouveau virage à 180°, le jazz fait des siennes, un jazz classieux et souple, à peine perturbé par un clavier éreinté et des choeurs asmathiques, pour laisser plus tard le violoncelle plomber un peu plus l’ambiance. Finalement, Annie Clark est particulièrement douée quand il s’agit de perdre son monde au sein d’une chanson, en cela qu’elle commence sur une ambiance bien définie pour s’achever dans un univers exactement contraire, alors que l’auditeur n’y a vu que du feu.

Au delà de ces capacités exceptionnelles de composition et d’interprétation, le dénominateur commun de toutes ces chansons à l’identité si marquée est la mélancolie qui s’en dégage. Que ce soit sous la forme de cassures rythmiques et/ou harmoniques ou de bouleversements mélodiques, prenant le contrepied permanent de leur propre structure, taclant l’auditeur et l’empêchant ainsi de s’appuyer sur un certain confort mélodique, chaque chanson est profondément imprégnée d’une noirceur inquiétante, sinon touchante. Annie Clark puise pour cela dans tout ce qui compose l’univers musical américain de ces 50 dernières années, du jazz au blues en passant par le folk et même la musique militaire, le tout saupoudré de touches électro savamment dosées, donnant l’impression d’une explosion de couleurs. Elle s’inspire même de la bossa pour une « Human Racing » parfaitement jubilatoire.

Cette musique kaléïdoscopique ne s’essouffle jamais, et même si l’auditeur ne comprend pas toujours ce qui lui arrive, il ne s’en plaindra pas et continue à sourire aux anges, sentant la main chaude de la jeune fille le guider dans cette luxuriance. Il n’est pas impossible que nous soyons, en ce moment même, témoins de l’éclosion d’une future grande star de la chanson. Epatant.

– Son Myspace