Retour en grande pompe du précoce crooner suédois qui nous livre ses états d’âme sur fond de mélodies easy listening et pop néoromantique. Ce jeune premier de la pop indépendante est l’incarnation même de l’élégance.


Avant que le label Secretly Canadian ne s’éprenne de ses CD-R fait maison, Jens Lekman enregistrait depuis l’adolescence, en toute sérénité, ces petites popsongs dans sa chambre sous un poster pérenne des Smiths. Et puis brutalement, quelque chose s’est brisé. A l’heure du premier album, le remarquable When I said I wanted To Be Your Dog (2004) enfanté dans la douleur, la panique s’est emparée de lui. Le plaisir amateur du musicien touche-à-tout laissa place à cette fameuse crampe de l’auteur, laissant Lekman complètement figé devant la tâche à accomplir (l’album en l’occurrence).

Ces deux dernières années ont été particulièrement laborieuses pour l’enfant de Göteborg : lorsqu’il ne dilapide pas gracieusement sur son site ses EPs, le garçon toujours en proie au doute artistique décide de laisser tomber la musique pour trouver un vrai emploi (animateur dans une loterie pour retraités, authentique), revient sur sa décision trois jours plus tard, retrouve l’inspiration, s’embarque dans une tournée « come back », accompagné d’un ravissant quatuor d’étudiantes suédoises aux cuivres, puis termine finalement son disque – une expérience en studio particulièrement traumatisante à l’entendre. Lors de ses concerts donnés l’an dernier en France (il vend des tee-shirts avec seulement inscrit dessus « 2006 », l’année de sa renaissance…), notre crooner suédois se confiait longuement entre chaque morceau sur les raisons qui l’avaient poussé à se défaire de sa passion. Mais la flamme était bel et bien revenue à le voir s’agiter sur scène, fendre la foule sans micro avec son ukulélé pour partager une ballade intimiste.

Reflet du nouveau Jens Lekman revenu de sa crise identitaire, son second album Night Falls Over Kortedala (en omettant la compilation de Eps Oh You’re So Silent Jens en 2005) peut être a fortiori considéré comme son premier véritable album. Sur son précédent opus studio, le dandy suédois n’hésitait pas à réenregistrer quelques démos sorties de ses tiroirs poussiéreux. Cette fois, toutes les compositions sont récentes. Night Falls Over Kortedala déploie des trésors d’inventivité et d’audace, tous genres confondus.

Si notre séducteur a le chic pour écrire des popsongs chatoyantes avec trois fois rien, sa manière aussi d’édifier ses collages et marier les styles est régénératrice du genre pop. Avec un style mêlant magnificence et maladresse, sa voix de crooner valse sur un sample du producteur Jimmy Webb (“Sipping On the Sweet Nectar”). Car tel un autre « Mal ajusté » – comme le chantait si fébrilement Morrissey -, Jens Lekman aime cultiver sa différence, faire office de passeur au travers de samples introuvables et reprises obscures (il inclut à son répertoire des reprises notamment de Moondog et des Television Personnalities). Aussi, la première plage “And I Remember Every Kiss” s’ouvre sur un fin échantillon symphonique du maestro Jerry Goldsmith renouant avec la pop fanstamagorique de “Maple Leaves”. Spécialiste du changement de cadre impromptu, Lekman ne cède jamais au classicisme et ose même faire son R.Kelly, ou plutôt son Timbaland sur le rythme coupé au cutter et complètement addictif de “Kanske Ar Jag Kar I Dig”.

Pourtant, lorsque ses mélodies se font guillerettes, voire exotiques, on ne peut s’empêcher de noter ce contraste saisissant avec cette voix de baryton transportant son vague à l’âme à travers ses mots. En parolier mordant, il libère ses frustrations avec ses mots tout en les tournant en dérision avec le génie d’un Jonathan Richman. Séducteur à double visage, il peut s’improviser romantique magnifique sur “Your Arms Around me” (une mélodie bénite du seau des Smiths), puis se comporter en crève-coeur flegmatique avec une pauvre dénommée Lisa sur le terrassant “I’m Leaving You Because I don’t Love You”. Il ne faut pas être un grand observateur pour comprendre que ses chansons symbolisent chacune une femme, comme sur “A Postcard To Nina”, avec ses cuivres extasiés qui respirent l’odeur des vieilles consoles Stax. Et comme pour couronner le tout, la divine El Perro Del Marr vient poser ses choeurs sur un titre, et ne fait qu’accentuer cette vision de harem.

Avec Night Falls Over Kortedala, Jens Lekman nous ouvre un roman-photo musical où cohabitent l’imaginaire et les souvenirs : du son des craquements de vinyles au sampling de ses propres chansons enregistrées à 5 ans, la nostalgie l’habite (Kortedala est son quartier natal de Göteborg). Ce jeune homme moderne est en proie à un dilemne sentimental permanent, écartelé entre regret et bonheur. Nous ne serons jamais assez reconnaissants à Julia, son premier amour, de lui avoir déclenché autant de passion en lui infligeant son premier baiser.

– Lire également la chronique de [When I said I wanted to Be Your Dog->
http://pinkushion.com/chroniques.php3?id_article=877]

– Le site de Jens Lekman