A seulement 19 ans, Billie Lindhal, la voix captivante derrière Promise and the Monster, a accouché d’un monstre. Son premier album Transparent Knives est un enchantement, un petit raffinement de folk quelque part entre Joanna Newsom et Stina Nordenstam.
Comme si c’était sa seconde chair, Billie Lindhal trimballe son étui de guitare de partout. La jeune femme a une peau blanche immaculée comme nous n’en voyons que dans les régions du Nord de l’Europe. Cette blancheur est d’autant plus accentuée qu’elle est vêtue d’une robe noire.
Je ne l’avais pas remarqué, Billie Lindhal semble perturbée. Alors que nous nous installons dans un coin au fond d’un bar du quartier Gambetta, elle a aperçu dans mon sac son disque présenté dans un boitier blanc en plastique. Elle me demande où je l’ai obtenu présenté ainsi. Je lui réponds que c’est un boitier que j’ai pris la liberté de changer, trouvant le visuel plus joli ainsi. Telle une mère possessive de son enfant, elle ne semble pas trop apprécier cette liberté que je me suis permise. L’entretien commence, la vague impression d’avoir commis un sacrilège… Heureusement, l’atmosphère se détend rapidement.
Pinkushion : Pourquoi avoir inclu les quatre chansons du Antarktis EP sur l’album ? C’est un peu frustrant pour un album ne contenant que 12 morceaux…
Billie Lindhal : Lorsque les gens du label ont dit qu’ils voulaient faire un EP, nous n’avions encore enregistré aucune chanson, juste quelques démos. Puis, j’ai dû choisir deux chansons que le label voulait aussi sur l’album et deux autres qui en seraient écartées. Finalement, les titres étaient tellement bons que je n’ai pas voulu m’en séparer lorsque l’album s’est imposé. Peut-être que j’aurais dû retirer “Single Girl, Married Girl”, celle-ci est un peu différente du reste.
Vraiment ? J’adore cette chanson!
Je sais, tout le monde l’adore ! (rires) C’est une de mes chansons préférées avec “Silver Speaking”, la dernière chanson du EP, la fin du morceau sonne tellement bien. “Single Girl, Married Girl” est une reprise de The Carter Family, un groupe country du début du XIXe siècle, une très vieille chanson. D’autres groupes l’ont déjà interprétée comme 16 Horsepower. Tu connais ? J’adore ce groupe.
Bien sûr. Les autres chansons de Transparent Knives qui ne sont pas sur le EP sont un peu moins faciles d’approche – ou du moins, je ne commence à les apprécier que maintenant, soit deux semaines après ma première écoute du disque.
C’est un peu difficile de les commenter. Il faut être patient avec ce disque. (rires) Je fais mes étranges parties à la guitare et mes vocaux, puis il se produit quelque chose de triste, calme et très introspectif.
Tu joues de tous les instruments sur ce disque ?
Pratiquement. Jörgen Wall (producteur) joue quelques parties d’orgue et a fait quelques vocaux. Nous étions en studio tout les deux et enregistrions les démos de manière basique. L’idée nous est venue comme ça, « que devrions-nous faire maintenant de ces chansons ? ». Les choses ont démarré ainsi.
Parle-moi de Jörgen Wall, est-ce un producteur reconnu en Suède ?
Je ne dirai pas qu’il est célèbre, mais il est très réputé dans le cercle des musiciens nationaux. Il n’a pas produit beaucoup de groupes indé, mais a surtout travaillé avec mon père. Je le connais depuis que j’ai huit ans en fait. J’ai voulu travailler avec lui car il a une énorme expérience. Lorsque je suis rentrée dans le studio, j’étais pétrifiée et il me rassurait « Allez ! Tout va très bien se passer, tu as juste à te focaliser sur ta musique ». Et ça a marché, nous avons collaboré à merveille ensemble, il a beaucoup d’idées.
Ton père était un musicien de jazz ?
Non. (rires) Il n’aime pas beaucoup le jazz. C’est plus le type « rock’n’roll ». Il joue dans un groupe rockabilly avec Jörgen qui s’appelait FatBoy. Ils sont vraiment très bons.
A en juger par la pochette lugubre de l’album et celle de tes confrères Mary Onettes, je me demandais si les bois de Suède étaient aussi effrayants que ceux dépeints sur les visuels.
Ils le sont, je le pense vraiment. J’ai grandi dans le nord, où les bois sont peuplés d’arbres très sombres. Je trouve que mon visuel est très représentatif de cette végétation. Maintenant, je vis dans la partie la plus habitée du pays, entourée de superbes étendues. Lorsque j’étais enfant et que je vivais près de ces forêts, j’étais tellement effrayée par l’obscurité que je gardais toutes les lumières de ma chambre allumées même quand je dormais. J’essayais de me réveiller et je hurlais…
Sur le visuel du Antarktis EP, il y a un petit côté Laura Palmer perdue dans un film de Murnau, tu ne trouves pas ?
(Rires). Oh oui, on peut le voir ainsi. Celle-ci a été prise à Stockholm.
Tu as 19 ans, mais ta maîtrise de la guitare est remarquable. Peux-tu me parler de ton éducation musicale ?
Je suis contente que tu me dises cela, personne ne m’avait encore posé ce genre de question. Les gens d’habitude ne s’intéressent pas à cet aspect de la musique. Et pourtant, mon jeu de guitare est essentiel. Je joue de la guitare depuis l’âge de 12 ans. J’ai beaucoup pratiqué. La clé, c’est de jouer tous les jours. J’ai fait une école de musyque pendant deux ou trois ans, mais les cinq premières années, j’ai appris par moi-même, en écoutant de la pop à la radio et en essayant de rejouer les morceaux sur l’instrument. Puis, j’ai écouté Nick Drake et ce fut la révélation. Ce fut comme un nouveau monde qui s’ouvrait à moi, j’ai réalisé qu’on pouvait faire toutes ces choses folles avec seulement une guitare. Et maintenant j’ai développé cette technique particulière d’arpèges.
Utilises-tu le même genre d’accordage ouvert que Nick Drake ?
Pas vraiment, j’utilise deux sortes d’accordages. L’un est standard, l’autre est complètement différent… je pense que c’est Cb. Je ne me rappelle pas de l’accordage exact, mais j’ai commencé à écrire toutes mes chansons sur celui-là, et je m’en suis lassé. Je reviens maintenant aux accordages standards. Sur scène, j’ai deux guitares accordées différemment pour alterner les morceaux. (ndlr : elle regarde alors la pochette des Mary Onettes). Est-ce que l’album est bien ?
Oui, j’aime beaucoup. C’est un mélange de pop new wave et de New Order, si je peux m’exprimer ainsi…
J’ai déjà entendu le single “Lost”. c’est plutôt rétro, j’aime bien aussi.
Est-ce spontané pour toi de chanter en anglais, en tant que suédoise ? Je perçois un léger accent américain.
Je sais (rires). C’est parce que j’ai vécu aux Etats-Unis. Théoriquement, ce n’est pas naturel. Le suédois est ma langue natale mais l’anglais est très courant dans mon pays. Par contre, je pense que c’est naturel de chanter en anglais, c’est une part personnelle qui est en moi. Mes textes sont un petit peu secrets. Je ne veux pas que tout le monde comprenne exactement ce que je chante. C’est plus facile pour moi d’exprimer mes sentiments en anglais.
Ta musique est par certains aspects gothique.
Je prends différents éléments musicaux. J’ai traversé plusieurs périodes où j’écoutais chaque fois un genre différent, comme la musique gothique, la folk, pratiquement tout ce qui me tombait dessus… excepté le « mainstream ». (rires) En fait, j’en ai aussi écouté plus jeune, comme tout le monde.
Et qu’est-ce que tu écoutais comme musique mainstream ?
J’adorais Aqua ! Je pensais que c’était le meilleur groupe du monde. Je chantais tout le temps cette chanson dans ma chambre. (rire gêné).
J’ai lu que tu jouais auparavant dans un groupe post-rock.
Oui, il s’appelait Shore For Shelters, j’étais bassiste, j’ai commencé à jouer de la basse vers 11 ou 12 ans. Nous étions un groupe plutôt brut, on faisait une musique instrumentale dans la veine d’Explosions in the Sky. Nous nous sommes séparés il y a deux ans, nous n’avions rien enregistré et ça ne menait à rien. C’est dommage, nous étions vraiment bons. Plus jeune, j’ai aussi joué dans un autre groupe plus pop, ça s’appelait Common Street.
Quel âge avais-tu ?
15 ans. Mais les autres membres avaient en moyenne 25 ans. On était également plutôt bons.
Maintenant que tu joues seule sur scène, comment te sens-tu ?
Horrible, anxieuse, nerveuse. Spécialement avant de monter su scène, et puis parfois pendant. Chaque concert semble une épreuve impossible. Je ne sais pas comment gérer la situation, mais j’y arrive finalement. Quelque part ça marche.
Parfois, la peur peut avoir du bon sur scène et se transformer en motivation.
Peut-être. Etre seule sur scène me demande beaucoup de concentration. Il faut que je me concentre sur ce que je fais exactement, car beaucoup de chansons que je joue sont difficiles. Quand je joue, je ne pense pas en termes d’émotion, mais plutôt en termes d’exécution technique. Chanter et jouer de la guitare, c’est tout ce à quoi je pense. L’émotion est déjà là, dans le morceau, je pense surtout à jouer la bonne note. Et si j’y parviens, j’ai fait du bon travail. Sinon, je considère que j’ai échoué.
Est-ce que par la suite tu envisages d’être accompagnée d’un groupe?
Pas maintenant, mais dans le futur, oui. Ce disque, je ne pouvais le représenter que toute seule. C’est mon premier album et je pense que c’était une bonne idée de juste faire des concerts solo pour montrer aux gens que c’est mon projet.
Comment expliques-tu qu’il y ait autant de bons groupes en Suède ?
Nous avons de très bonnes écoles de musique. Lorsque j’étais à l’école, presque tout le monde jouait d’un instrument. Je pense que c’est pour cela que tant de gens forment des groupes. Il y a tellement de groupes maintenant, c’est presque une compétition. Je ne sais pas, une chose entraîne une autre.
Peux-tu enfin me donner tes cinq albums favoris ?
J’adore ce genre de questions !
Low – I Could Live in Hope
Neil Young – Harvest Moon
16 Horsepower – Foklore ou Low Estate
Slowdive – Soulvaki
NDLR : j’ai malheureusement perdu le nom du cinquième groupe qui était suédois. Billie m’a parlé d’un groupe qui sévissait dans les années 90 entre Ride et les Stone Roses. Avis aux suédois fans de rock
Rectificatif janvier 2008 : Un gentil Internaute me souffle le nom d’EASY…