Démarrant à pas de loup, “Little Waves”, première chanson éponyme, lève doucement le drap pour laisser s’échapper des perles de guitares nacrées comme en alignait Nick Drake à longueur de chansons. La voix de Matt Jones peut effectuer son entrée, cette voix étranglée et terrorisée, celle d’un homme qui se serait terré des années durant afin de fuir l’humanité, et qu’un brusque accès de lumière fige. Ainsi, au fil des onze titres de Little Waves, Crescent s’habitue doucement à la lumière qui entre par la porte, se familiarise avec les sons extérieurs (une trompette, des voitures qui passent au loin, des oies, le vent…) et s’engage délicatement sur le seuil. Puis fait ses premiers pas dehors, l’avant-bras en pare-soleil, continuant à susurrer les raisons de son hibernation forcée. Et c’est sur ce rythme catatonique, avec une voix blanche et brisée, sur des accords d’instruments à cordes rustiques que Crescent s’engage dans ce qu’il pense être la vie extérieure. Mais le spectacle découvert ne correspond pas à ce qu’il avait espéré et semble plutôt s’approcher de son pire cauchemar. Alors Matt Jones se met à genoux et prie, doucement, les yeux fermés et les mains jointes, accompagné d’un orgue fatigué et de clochettes corrodées. Et se recroqueville brutalement, contient un cri de douleur et serre ses poings à faire disparaître le moindre millimètre-cube de sang des phalanges. Little Waves est un album douloureux, d’une extrême lenteur, évoquant la tristesse d’un automne pluvieux qui se meurt pour laisser place à un hiver gris et glacial. La voix de Matt Jones est celle des esprits qui traversent ces espaces vides, piégés dans les congères. Les instruments figurent les spectres des êtres vivants disparus, mammifères, végétaux et autres. A bien se pencher sur cette musique, on entendrait presque les feuilles mortes se briser sous le poids de la glace, tandis que l’âme d’oiseaux surpris par le blizzard s’échappe de cette nature morte. Un disque givré, glacial, glaçant, dernier souffle d’un monde en pleine déréliction.

– Une page sur Crescent sur le site de Fat Cat Records