Ce septième album devrait lever les réticences injustes que rencontre Tue-Loup suite à quelques égarements malheureux. Les sarthois se positionnent au niveau des plumes françaises les plus fines, et donc les plus rares.


La bête n’est pas morte, la bête respire encore et pourrait bien mordre si nécessaire. Tue-Loup a une couenne terriblement épaisse en guise de peau. C’est qu’il en faut, de la couenne, pour résister au torrent de critiques déversées depuis quelques temps sur le groupe de Xavier Plumas. Et il faut des poumons en acier pour respirer six pieds sous terre, exactement là où d’aucuns pensaient retrouver les auteurs de La Bancale ou La Belle Inutile. Mais ces organes inhumains n’empêchent pas d’avoir un coeur. C’est d’ailleurs lui qui revient à la charge sur Le Lac De Fish. Et il arbore moults costumes pour avancer, boitillant, sur la scène. Celui du folk originel. Celui de textes mélancoliques, noirs et granuleux. Et surtout, le costume du son direct, de la première prise, du premier jet (crachat ?). Car Le Lac De Fish ramène les sarthois à leurs premières amours.

Dès “Cabale” on sent que le propos s’est resserré, que la plume a mûri et que le plomb dans les ailes a doucement migré vers la cervelle. Et l’intarissable Xavier Plumas de se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux, soit des chansons boisées, rustiques et tournées vers la plaine. Oui, il a fallu aller voir ailleurs pour pouvoir mieux revenir, surtout que l’on n’a pas ramené de ces voyages que des coquillages et de jolies cartes-postales. On s’est fait piquer ses papiers, on a perdu ses bagages (on ne les regrettera pas tous) et on a oublié son passeport dans un hôtel miteux.

L’enfer est maintenant terminé, on est rentré chez soi, on a ramoné la cheminée, décrassé le poêle et aéré les chambres. Et surtout, on a retrouvé nos vieilles guitares qui nous attendaient là, bien sagement, à peine recouvertes d’une fine pellicule de poussière sur laquelle il a suffi de souffler. C’est dingue comme la simple odeur de sa maison peut raviver les automatismes, rallumer la flamme. Oh, certes, cette bonne vieille carcasse n’est plus la résidence principale – « Adieu Les Bordes » – et quelque compagnon a depuis préféré poursuivre un autre voyage, plus personnel – le batteur originel, Romain Allanot. Mais peu importe, on joue à domicile, on connaît le terrain, on connaît les vestiaires. On sait même où se niche le savon de Marseille qui nous débarrassera des dernières saletés.

De fait, Tue-Loup renoue avec cette musique limpide et naturelle. La thématique générale reste les deux pieds ancrés dans la nostalgie, celle qui habite le leader du groupe. On ne connait pas les raisons exactes de cette morosité, même si on les devine. Mais, au moins, elle ne freine pas son verbe, bien au contraire. Et son talent pour trousser des mid-tempos arachnéides n’a rien perdu tout au long de ces années d’errance. « En Robe Déchirée » et l’instrumental “Le Lac De Fish” rendent visite au meilleur Calexico, « En Terre Inconnue » lorgne vers une bossa capiteuse, “Avalanche” ou “Le Tour De La Terre” portent haut la beauté de la tristesse assumée. Xavier Plumas a su se refaire après la volée de bois verts qu’il a ramassée, et il a su tirer de cette douloureuse expérience un combustible libérant une énergie incroyable à de toutes petites doses. Et même s’il n’est pas encore à l’abri de quelques faiblesses – la lourdeur du refain de “Gisant”, le texte bourratif de “Le Plan De Rome” -, il érige cet album de la renaissance au niveau d’un disque mineur de Jean-Louis Murat, Le Moujik Et Sa Femme, par exemple, ce qui est loin d’être un fardeau (un album mineur de Murat restera toujours majeur ici-bas).

A ceux qui auraient trop vite enterré Tue-Loup, voici la meilleure réponse possible. Un grand album de Tue-Loup. Par Tue-Loup. Ni plus, ni moins. Toujours se méfier d’un animal sauvage blessé, c’est là qu’il est le plus dangereux, à défaut d’être le plus fort.

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– Lire également l’interview des Jean-Charles Versari et Cyril Bilbeaud, de T-Rec