Emouvante est la mémoire qui délivre les mélodies du passé, fait remonter à la surface du présent souvenirs et sensations d’un autre temps, à la fois flous et encore prégnants. Tel se devine le beau projet de l’altiste Kim Kashkashian et du pianiste Robert Levin : restituer en musique le mouvement indicible des choses qui ont été et seront dès lors toujours, mais autrement. En l’occurrence ici des chansons folkloriques issues du répertoire populaire espagnol et argentin, celles notamment que chantait le père de Kim Kashkashian alors qu’elle était encore enfant. Un premier contact avec la musique qui aura eu lieu par le truchement d’une voix admirée, chaude et familière, dont ce disque se veut aussi un écho intime autant qu’un tendre hommage. Entretenant avec son instrument un rapport d’extrême proximité, l’altiste travaille de fait à obtenir une expressivité mélodique proche du chant, tout en jouant remarquablement de l’impossibilité à le remplacer, substitution contrariée à l’origine d’un déchirement, d’une fêlure mélancolique. A la recherche du temps qui perdure, les deux musiciens, complices de longue date (ils se sont rencontrés au milieu des années 70 et ont enregistré leur premier disque ensemble pour ECM, Elégies, en 1984), déclinent toute une palette de procédés instrumentaux déclamatoires (pizzicati, contrepoints additionnels, silences, accélérations/ralentissements, changements subits de tonalités plaintives) qui visent à retranscrire la dimension orale des vingt-six morceaux retenus pour l’album, magnifiquement articulés entre eux. Epurées mais nom exemptes de flamboyance, ces chansons signées Manuel de Falla, Enrique Granados, Carlos Guastavino, Alberto Ginastera, Xavier Montsalvatge et Carlos López Buchardo, déjà connues pour leur forte valeur émotive, vibrent et résonnent dans le contexte de la musique de chambre avec un sens conjugué de la retenue, du raffinement et de la dramaturgie qui subjugue. Au point de rendre ce disque proprement mémorable.
– Le site de ECM.