Sur ce quatrième album, le songwriter cinquantenaire revenu de tout, souvent confronté par le passé aux vicissitudes d’une existence marécageuse, aspire au repos des braves avec une humilité et une singularité confondantes.


Après le succès mérité de Wrong-Eyed Jesus! (Mysterious Tale of How I Shouted), paru en 1997, la carrière musicale de Jim White (rien à voir avec son homonyme, le batteur des Dirty Three) semble pour beaucoup avoir trouvé un terme en 2001, au moment de la sortie de son second album, le conceptuel No Such Place, au demeurant suffisamment raté pour que son auteur se voie jeter l’opprobre. Tel est le revers de la médaille critique : le moindre faux-pas peut s’avérer rédhibitoire, à la mesure de l’attente suscitée et contrariée. Avec le recul, cette éviction du champ critique hexagonal paraît d’autant plus injuste que suivit trois ans plus tard l’excellent Drill a Hole in That Substrate and Tell Me What You See, produit par le chaleureux Joe Henry, oeuvre au noir très aboutie dont le récent Transnormal Skiperoo constitue en quelque sorte l’envers lumineux. « Transnormal Skiperoo est un mot que j’ai inventé pour décrire un nouveau sentiment que je ressens après plusieurs années où je me sentais perdu, seul et maudit. Maintenant quand tout brille autour de moi, quand j’ai envie de danser simplement parce que je suis en vie, quand je suis envahi par un sentiment de gratitude parce que je n’ai plus besoin d’aucune drogue, ni de Dieu, j’appelle ça Transnormal Skiperoo », annonce d’ailleurs en préambule le prolixe Jim White sur son site, indiquant par-là un changement notable d’état d’esprit, perceptible aussi dans ses choix formels idoines.

Produit cette fois-ci par Joe Pernice (Pernice Brothers) et Michael Deming, le quatrième album de cet ancien mannequin, surfeur professionnel et prêcheur converti (il fut prêtre baptise) trouve de nouveau son terrain d’élection entre americana sudiste et country alternative, à ceci près que la variété des orientations musicales s’accommode à présent d’une euphorie, voire d’une sagesse qui attestent de la bonification joyeuse et croissante de son écriture. Si le désastre est malgré tout encore tenté de frapper à la porte de l’espoir, si le rachat demeure susceptible de se transformer à tout moment en une promesse non tenue, la lumière inonde la majorité des chansons de Transnormal Skiperoo. Se déploie avec maestria un sens mélodique qui allie dans un même mouvement ascendant séduction et profondeur, comme sur le beau “Jailbird”, une chanson meurtrie que Jim White a sorti de ses malles pleines de poussière. Introduite merveilleusement à l’harmonica et à la guitare sèche, puis laissant s’installer un climat de sérénité contagieuse, avec cordes, choeurs et piano à l’appui, les mots douloureux de l’auteur basculent en un repentir gracieux qu’épouse avec félicité les arrangements. Où comment transcender les affres du passé par le truchement d’une forme déliée et nuancée, entièrement vouée au sursis d’une âme réconciliée avec elle-même, en quête de paix intérieure. Un sentiment d’apaisement que l’on retrouve plus loin avec “Pieces Of Heaven”, sorte de lettre du songwriter offerte comme un précieux présent à ses deux soeurs, à qui il souhaite un avenir radieux tout en leur témoignant de son attachement indéfectible.

Impétueux et ondoyant, “Crash Into The Sun” montre une facette plus aventureuse de l’écriture de White, dans la droite lignée de ses débuts – qui ne sont pas sans évoquer ceux de Beck. Laura Veirs fait une apparition discrète et Tucker Martine (collaborateur de Sufjan Stevens, The Decemberists) s’est chargé de la co-production de ce morceau vagabond, difficile à assimiler à un genre musical en particulier (pop, americana, funk, soul). La religion occupe de nouveau un rôle central, mais, loin de verser dans le prosélytisme dogmatique ou de se livrer à un prêchi-prêcha nauséabond, Jim White y interroge plutôt avec subtilité le sens de la croyance et la place de Dieu, préoccupations métaphysiques intrinsèques à son univers musical. « Si tu rencontres Dieu sur ta route, tue-le » aime-t-il à répéter dans ses interviews, une injonction surtout adressée aux petites gens conservatrices de l’Amérique profonde, tous ces fermiers qu’il côtoie et observe dans la Géorgie où il réside à présent, obnubilés par cet affrontement divin censé les libérer de leurs multiples tracas quotidiens (il a réalisé d’ailleurs en 2006 un film documentaire à ce sujet, Searching for the Wrong-Eyed Jesus, qui explore la culture du sud des USA à travers sa musique et ses histoires). Plus que des réponses ou des certitudes, l’oeuvre de Jim White s’apparente à un questionnement perpétuel des évidences et des convictions. Ce que ne cesse de souligner son inspiration musicale iconoclaste : si l’écriture a globalement gagné en fluidité et en précision, la forme prise par sa musique demeure ouverte et peuplée, investie de toutes parts par une incertitude qui appelle d’autres possibles, un dessein qui ne saurait être limité par aucune fin ou fixation stylistique durable.

On comprend mieux dès lors pourquoi Jim White assimile sa musique à celle d’autres chantres de l’Amérique qui ne fait pas rêver, tels Howe Gelb, Will Johnson (Centro-matic, South San Gabriel) ou Ben Weaver, voire Joe Henry, car, comme eux, son geste s’inscrit dans la tradition d’un songwriting populaire, charpenté et érudit (mais nullement dans la restauration d’un traditionnalisme puritain bien en vogue en ce moment, mieux vaut préciser), tout en revisitant/détournant ses codes ancestraux. Un élan libérateur et engagé où fond et forme viennent au diapason inquiéter le mouvement du monde et de ses mythologies.

– Le site de Jim White

– Sa page Myspace