A presque 80 ans, le saxophoniste Fred Anderson, qui enchaîne les albums au rythme quasi métronomique d’une sortie par année, reconduit avec le batteur Hamid Drake un énième enregistrement. Sur le papier, une telle présentation accumule les éléments rédhibitoires : une longévité musicale trop excessive pour être honnête et une formule instrumentale qui tend au ressassement, forcément rasoir. A l’écoute, c’est une autre histoire. Celle-ci échappe fort heureusement aux prédictions des prophètes du jeunisme, campés dans leur superbe comme d’autres dans leur mauvaise foi. Enregistré à Chicago par John McEntire, avec la participation de Harrison Bankhead (violoncelle, contrebasse, piano), Josh Abrams (contrebasse, guimbri) et Jeff Parker (le guitariste de Tortoise), From The River To The Ocean est sans contexte un des grands disques de jazz de 2007. Le titre éponyme, ravissement ininterrompu, transporte sens et émotions, contrastes et sonorités orientales, au point de susciter à lui seul un émoi durable. Introduction en douceur d’Anderson et de Bankhead, caressant sa contrebasse du bout des doigts comme pour attiser un feu sacré, chant incantatoire en arabe de Drake, guitare lancinante de Parker, guimbri marocain d’Abrams et violoncelle sur fond de tambours hypnotiques décrivent des arabesques improvisées et fascinantes. Enroulements et déroulements de lignes mélodiques tendues entre le jazz modal et l’Afrique, éclairées par le saxophone, tout en pulsions joyeuses et impulsions méditatives fondues. Le morceau, fluide et ramifié, justifie son énoncé liquidien dans son mouvement d’engendrement, désir et élan en train de prendre forme, ascension spirituelle aux résonances coltraniennes. A l’image de cette quatrième plage (sur cinq au total), le quintet de Fred Anderson foule des terres qu’il connaît bien, avec le souci de ne pas perdre la trace des ses ancêtres et le besoin d’en élargir la portée, ému de ses propres trouvailles. L’inverse du triste conservatisme : l’extase d’être en vie.
– Le site de Thrill Jockey.