Le deuxième album post-résurrection de l’ex Taxi Girl n’est pas encore celui de la rémission. Brinquebalant mais touchant.
Il y a deux manières d’aborder ce nouvel album de Daniel Darc. Soit on se réfère à l’histoire de l’homme et Amours Suprêmes est un nouveau cadeau de la vie pour celui qui a connu toutes les outrances et tous les outrages. Soit on se cantonne à l’analyse froide d’un disque de la fameuse scène française par un acteur capital de sa génèse, et le troisième effort solo de l’ex-Taxi Girl s’affadit, ce dernier proposant des textes toujours tranchants mais habillés d’arrangements un peu trop souvent convenus.
Dans le premier cas, sur le fond, Amours Suprêmes est un album encore plus important que Crèvecoeur. Si ce dernier, en 2004, donnait d’inespérés signes de vie de l’icône esquintée de toute une génération, Amours Suprêmes lui offre la consécration, lui autorisant à inviter ses propres idoles : Robert Wyatt, Alain Bashung, Steve Nieve et Pete Tomas, ce qui n’est pas rien pour un ex-mort vivant. Et ce générique ne perturbe en rien l’éternel punk qui ne se prive pas pour continuer à écrire des textes lourds de sens. La vie brûlée par les deux bouts, les expériences physiques ultimes, la mort affrontée dans le blanc des yeux, la foi, l’amour, les remords insupportables. L’univers de Daniel Darc est ici encore plus saignant que sur son précédent requiem, ou même son oeuvre antérieure. Un air de cracher que «oui, je suis revenu de tout, oui le monde est à mes pieds, mais oui, j’ai été une merde, faible et violent, et ce succès je le mérite à peine et je le paierai forcément un jour». On frissonne à l’écoute de “J’Irai Au Paradis”, “Ça Ne Sert A Rien”, “La Vie Est Mortelle” ou “Serais-je Perdu”.
Et l’écorché, dans cet exercice d’automutilation, n’oublie jamais d’être bouleversant, toujours apte à écrire des textes au romantisme brut, des chansons d’amour foudroyantes. En cela, “Un An Et Un Jour” est un joyau absolu qui, en une poignée de mots, voit le chanteur donner sa lecture de La Belle Et La Bête. Une version modeste où un prince charmant, le coeur en sang et le torse en labeaux, pose le genou à terre devant sa promise. C’est cette simplicité qui rend la sensibilité de Darc contagieuse, jamais ridicule dans sa posture de Roméo des bas-fonds, étrange personnage qui aurait bourlingué entre les univers antinomiques de Hubert Selby Jr. et de Maupassant. Autre temps fort d’Amours Supêmes, “Environ” qui le clôture avec une délicatesse infinie, par la grâce de vers élégiaques : «Environ je dispose de presque / Un peu moins que rien / Presque un peu moins que rien».
La forme maintenant. L’écoute plus objective d’Amours Suprêmes délivre un verdict davantage en demie-teinte. Frédéric Lo, ce musicien discret qui a tendu la main à un homme en perdition pour lui offrir Crèvecoeur, un disque aussi riche que délicat, semble ici se reposer sur ses lauriers à plusieurs reprises. Quand en 2004 il offrait des pluies d’arpèges de guitares, des violons soyeux et des pianos virevoltant, il a décidé en 2008 de durcir le ton. Manque de chance, le soufflet retombe avec les guitares à peine abrasives des titres d’ouverture, les claviers y sont souvent décoratifs et certains choix d’arrangements pop, sensés rendre un hommage appuyé à Gainsbourg, font beaucoup de bruit (enfin, pas tant que ça) pour pas grand chose. Cette inconstance, laissant un arrière goût désagréable, nous fait penser qu’on y reviendra moins facilement qu’à l’inusable Crèvecoeur.
A quelques reprises, toutefois, ce subtil arrangeur réussit de jolis coups d’éclats dont il a le secret. Comme sur “L.U.V.” où l’on voit Darc et Bashung énumérer, sur un tapis electro sarcastique, des mots clichés de la culture rock, avec une morgue d’adolescents assez amusante. Ou encore sur “Ça Ne Sert A Rien”, formidable croisement entre la respiration hypnotique de Robert Wyatt et une trompette arrogante et insaisissable. Il y a aussi les arrangements classiques guitare/voix de “Environ”, une vignette sans prétention, fière dans sa fragilité printanière.
Heureusement Daniel Darc est un personnage certes pertubant et perturbé, souvent incontrôlable, mais terriblement attachant. Surtout, c’est un auteur précieux et rare, encore capable de textes sublimes dans leur impudeur sauvage. Et Amours Suprêmes un album qui se picore en fonction de ses humeurs, comme si on prenait régulièrement des nouvelles de l’ami que l’on avait autrefois perdu de vue et que l’on a vu revenir au moment où l’on s’y attendait le moins, histoire de ne plus jamais couper le contact.
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