Le ventre mou du jazz n’en finit pas de gonfler, accueillant jusqu’à plus faim quantité de musiciens émérites, bardés de diplômes, stars avant même d’avoir enregistré la moindre note, élus parmi les élus destinés à une carrière de demi-dieux. Ainsi du surdoué Tigran Hamasyan, 20 ans au compteur, déjà pianiste alors qu’il savait à peine marcher, nous dit-on, origine arménienne portée fièrement en bandoulière, études musicales à l’Université de Californie du Sud, bête à concours invétérée. Le tableau ainsi convoqué invite au respect, sinon à la génuflexion. Et ce n’est pas l’écoute de New Era qui viendra apporter un démenti. Plein à craquer (77 minutes, au moins vingt de trop), ce second album démontre avec force doigté une individualité flamboyante montée d’un compositeur exigent et aventureux, qui n’hésite pas à reprendre Monk sur un air de reggae et à parsemer des sonorités world au moment où on s’y attend le moins. Sous le haut parrainage des frères Moutin (François à la contrebasse, Louis à la batterie) et le regard complice d’un invité à suivre, Vardan Grigoryan au Duduk, le jeune prodige déroule son savoir-faire avec brio, s’échine à dynamiser son propos et justifier sa renommée. Toute critique sera forcément superflue, fruit d’une méconnaissance du jazz actuel juste bonne à passer sous le couperet des juges institutionnalisés. Osons tout de même écrire dans ces colonnes que ce jazz-ci, lorsqu’il revêt la forme canonique d’un devoir studieux, nous ennuie terriblement. Studieux ? L’adjectif procède moins d’a priori anti-scolaires que d’une pratique du jazz qui tourne à vide, plus spécieuse qu’incarnée, où la moindre improvisation, le moindre écart de conduite semblent obéir à des convenances certifiées conformes. Que Tigran Hamasyan apprenne à jeter son érudition aux orties plutôt qu’à la couvrir de fleurs et il deviendra grand, vraiment.
– Le site de Tigran Hamasyan.
– Le site de Nocturne.