Bonnie ‘Prince’ Billy nous fait signe régulièrement, histoire qu’on ne perde pas le contact avec son blues addictif. Avec ce maxi de huit titres, il nous prouve une fois de plus qu’il est toujours là où on l’attend le moins.


On se souvient, en 2004, de Bonnie ‘Prince’ Billy Sings Great Palace Music, un album d’autoreprises dans lequel Will Oldham avait préféré la démesure d’une orchestration country foisonnante à la sobriété des arrangements minimalistes auxquels on le savait abonné. Ou encore, la même année, de I Am A Cold Rock, I Am A Dull Grass, tribute pompeux et inégal où une cohorte de groupes plus ou moins connus reprenaient une série de titres issus de sa riche discographie. Plus récemment, le split album réalisé avec Tortoise, The Brave And The Bold, s’avérait plus convaincant. Tour à tour songwriter de génie, collaborateur discret à des projets divers, identité incertaine derrière autant de pseudonymes, il n’en finit pas de nous surprendre, et ce maxi Ask Forgiveness EP doit être rajouté à la liste des fantaisies discographiques qu’il s’autorise régulièrement.

Voici en effet un album de reprises, mais point d’auto-citations ni de tribute décalé à la gloire de ses chansons passées. Will Oldham nous dévoile un trait marquant de sa personnalité : son amour immodéré de la musique, sous toutes ses formes. Un éclectisme, déjà à l’oeuvre sur The Brave And The Bold, qui l’a poussé cette fois à choisir des artistes aussi divers que Frank Sinatra, Thom Yorke (le titre chanté avec Björk sur Selma’s Songs), R. Kelly (!), ou des pointures américaines du songwriting (Mickey Newbury, Phil Ochs) histoire de ne pas tourner le dos à un lourd héritage de Nashville. A envisager le mélange détonant de genres qui se profile derrière cette large palette, qui va du R&B au metal, il y a de quoi appréhender un peu le résultat, une fois passé à la moulinette lo-fi du facétieux Bonnie ‘Prince’ Billy.

Or, le défi, certes risqué, et parfaitement taillé pour ce chanteur passé maître en matière de cynisme, n’est pas vraiment relevé. Bien sûr, Will Oldham parvient à s’approprier ces standards, et à les transfigurer en quelque chose d’infiniment personnel, comme si ces chansons avaient été écrites de toute éternité pour lui. “I Came Here To Hear The Music” n’aurait pas dépareillé sur The Letting Go, avec ses arrangements choisis : arpèges discrets, voix modérée. Mais c’est précisément la faiblesse de cet album : rien, dans l’instrumentation ou les arrangements, ne s’avère furieusement nouveau. La seule véritable originalité réside donc dans le choix des pistes : passé le sourire que nous décroche ce parti pris, le ‘Prince’ du folk se laisse porter doucement par une relecture systématiquement acoustique des titres.

Rien ne dépasse, pas un mot plus haut que l’autre, les dérives pulsionnelles étant cette fois-ci fermement calfeutrées. L’impétuosité de Björk sur “I’ve Seen It All” laisse place à une ballade désertique que quelques choeurs ne suffisent plus à réchauffer. Même trame pour “Am I Demon?” ou “The Way I Am” : Will Oldham semble être revenu à une certaine épure, qui, si elle est toujours agréable à écouter – car il s’efforce visiblement à chanter posément – ne nous épargne pas l’ennui. Seul “The World’s Greatest”, interprété du bout des lèvres et soutenu par un violoncelle, parviendra finalement à nous captiver. Celui dont la voix se rapproche de plus en plus de celle de son disciple Iron & Wine chante avec réserve un titre qui avait, en son temps, inondé les radios. De la part d’un chanteur aussi peu connu du grand public, le contraste est pour le moins étonnant.

En dehors de cet art, toujours modéré, du décalage, Ask Forgiveness EP nous laisse sur notre faim. En espérant que le prochain véritable album fasse oublier cet écart largement « pardonnable ».

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