Chanter les mots d’un autre, surtout s’il est un célèbre hôte saturnien en quête éperdue de Sagesse, comporte quelques risques. D’abord celui d’appeler une immédiate comparaison aux effets forcément dépréciatifs. Toutefois, quand John Greaves chante Paul Verlaine (ou il y a quelques mois Jean-Louis Murat adapte Charles Baudelaire), avant même d’avoir écouté la moindre note, on imagine que l’hommage n’aura rien d’académique et que le bassiste avant-gardiste ne se contentera pas de jouer tranquillement les gardiens du temple. L’écoute ne fera que confirmer alors cet heureux pressentiment : reprenant à son compte la célèbre formule verlainienne « de la musique avant toute chose », l’iconoclaste Gallois déjoue toutes les attentes avec ce Verlaine moins lettré que pleinement musical et singulier. Onze extraits tirés de sept recueils (les errances vagabondes du très rimbaldien Romances sans paroles sont convoquées par quatre fois) mettent ainsi autant en évidence la langue chantante du poète que la poésie musicale de Greaves. Ponctuées de notes de violon, de guitare, d’accordéon, de cuivres (trompette, trombone, tuba), d’harmonica, d’ukulélé, de piano, de bandonéon ou encore de percussions, chaque morceau répond aux exigences formalistes d’un impressionnisme méticuleux, tout en évocations stylistiques mélancoliques, candeur et gravité mélangées (valses, musiques de cabaret et de chambre, chansons d’antan et pop alternative se succèdent avec brio, sans rupture de ton). Plus délicat demeure le rapport au chant : l’accent français approximatif de Greaves rompt par moments la fluidité de la langue de Verlaine, ajoute à la cadence des vers une césure qui ne s’accorde pas toujours à la musicalité recherchée. “Séguidille” partage par exemple l’auditeur, d’un côté séduit par cet harmonica à la tendre tonalité féminine et cette guitare électrique qui apporte un « vent mauvais », mais de l’autre plus réticent à apprécier ce chanter-parler saccadé, cette diction qui force quelque peu l’émotion et où peinent à se distinguer les mots avec clarté. Une réticence plusieurs fois reconduite, pas suffisante pour entacher notre plaisir, mais nous empêchant malgré tout de s’y abandonner complètement.
– La page Myspace de John Greaves
– Le site de Zig-Zag Territoires