Membre de l’AAC (Association for the Advancement of Creative Musicians), entraperçue dans la bande post-rock défunte de Godspeed You ! Black Emperor, la saxophoniste Matana Roberts signe avec The Chicago Project un album de jazz inventif, entre post-bop acéré, free jazz ragaillardi et avant-gardisme finement dosé, le tout impeccablement produit par John McEntire. En quartet (Josh Abrams à la contrebasse, Jeff Parker à la guitare, Franck Rosaly à la batterie), augmenté du saxophone patriarcal de Fred Anderson sur trois versions de « Birdhouse », dialogues qui voient l’élève disputer sa verve au maître, Roberts laisse libre cours à une inspiration spirituelle (“Love Call” et sa succession de hurlements et pleurs libératoires) qui, si elle doit beaucoup à John Coltrane, épouse néanmoins des courbes suffisamment imprévisibles et divergentes pour transformer l’héritage en matière vivante. Et c’est justement la propension des musiciens à changer d’axe et ne point se limiter à un style par trop défini qui enthousiasme le plus ici. L’apport de Jeff Parker paraît en ce sens déterminant. Souvent enclin à distiller des sonorités intrigantes dans un contexte marqué par la Great Black Music, comme sur l’inaugural “Exchange”, à l’architecture discontinue, ou l’énigmatique « For Razi » qui se clôt sur des tonalités apaisées de saxophone après avoir touché de près l’atonalité, ses improvisations semblent constamment tirer les morceaux vers des zones indéterminées, suggèrent des croisements pertinents (avec la batterie notamment). A l’image d’une formation qui transcende avec ferveur tradition et modernité. Tangible et brassant un large éventail d’émotions contrastées, The Chicago Project dit le désir de condenser le passé tout en ouvrant d’originales pistes à explorer.
– Le site de Matana Roberts
– Sa page Myspace