Ces petits protégés de Broken Social Scene ne partagent pas que leur label avec leurs mentors. Un certain goût de l’aventure musicale aussi.


C’est désormais une tradition, chaque année de ce nouveau millénaire porte son lot de groupes canadiens, marchant sur les pas de brillants grands frères, encouragés par ces derniers. Ainsi, que ce soit Arcade Fire, Godspeed You! Black Emperor ou Wolf Parade, quelle que soit l’ampleur de leurs succès respectifs, tous ont fait pousser de jeunes graines ou de vieux amis sur le devant de la scène. C’est au tour de Broken Social Scene de prolonger la tradition (déjà fait avec l’album solo de leur leader Kevin Drew) en braquant les projecteurs qui leurs sont destinés vers The Most Serene Republic. Pas bégueule pour un dollar canadien, les BSS ont même offert aux jeunes poulains de leur label A&C un exemplaire du grimoire dans lequel sont consignées toutes les formules qui permettent l’élaboration de cette musique explosive, soit les mille et une façons d’accommoder la pop, de la torsader et la recouvrir de centaines de couches de laque précieuse pour lui donner une couleur baroque éblouissante. Et ce n’est rien de dire que les blancs becs de The Most Serene Republic ont bien retenu leurs leçons.

Population est leur deuxième album, mais le premier à connaître les joies d’une distribution digne de ce nom. Et pourtant, quiconque se sera plongé dans la musique de leurs aînés pré-cités risque bien de se trouver en terrain connu tant le mimétisme est ahurissant. Pistes vocales innombrables, guitares vrombissantes et aériennes, batterie haletante, entrelacs mélodiques et éruptions de cuivres, pas de doute, la musique est dans le parfait prolongement de ce que Kevin Drew et Brendan Canning ont brillamment porté au rang de grand art à la tête de leur clique, notamment sur leur excellent dernier album éponyme. Faut-il pour autant en rester là avec les petits derniers ? Non, et ce serait même bien dommage.

D’abord, que leurs fans se rassurent, les maîtres ne sont jamais dépassés, à peine rejoints sur quelques éclats dirons-nous. En outre, sous un côté un brin scolaire se cache une frénésie délicieuse qui pousse à prendre la main tendue et se jeter dans la première mare venue, une envie incroyable de mordre la pop, lui en mettre plein la vue, en jouer comme s’il s’agissait d’un chiffon abandonné et trouvé au détour d’une promenade dans le jardin d’enfants. Et si Population n’est pas l’album génial de l’année, il n’en demeure pas moins une belle réussite tant les pistes explorées par Adrian Jewett et Ryan Lenssen (têtes chercheuses du combo, et producteur pour ce dernier) et leur bande sont nombreuses. Là où les premiers pékins venus se seraient logiquement pris les pieds dans le tapis rouge, les jeunes pousses originaires de Milton (banlieue de Toronto) font étalage d’une assurance indestructible quand il s’agit de construire les petites pièces qui, imbriquées les unes dans les autres, donneront naissance à ces chansons-Lego multiformes. Chantée ou non, chaque vignette de Population est la bande son idéale de l’exploration azimutée du versant joyeux et incandescent de l’histoire de la pop.

Exercice sublimé par une production alléchante, jouant sur la reverb avec un sens du « point trop n’en faut » du meilleur effet. Il aurait été casse-gueule (et casse-pieds par la même occasion) d’en faire des caisses quand on a sous la main sept gandins avides de musique, sautant partout dans le studio. Ainsi, les arrangements en mille-feuilles de TMSR sont-ils tempérés par un son chaud et ouaté, tirant plus vers le clin d’oeil aguicheur que le tape à l’oeil racoleur.

Certes, cette incroyable capacité à construire et déconstruire dans un même souffle une chanson, propre à BSS, pèse de son absence ici. Chez The Most Serene Republic, ce serait plutôt une écriture classique alimentant une soif inaltérable d’empilement. Au gré des morceaux, l’auditeur est ainsi invité à visiter une galerie des glaces ornée de tableaux aux sources instantanément identifiables. Mais le plaisir n’en souffre pas pour autant.

Ce groupe modeste, plutôt que titiller la fibre émotive chez les fans des BSS (qui goûteront bien leur plaisir quand même) semble finalement se résigner à son rôle de rabatteur, un rôle qui lui va comme un gant. Le néophyte comme le confirmé peuvent donc se laisser convaincre, ils (re)découvriront un univers baroque, décoiffant, mais source de mille surprises pour autant de moments de béatitude.

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