Retour remarquable des cultissimes activistes canadiens. Avec leur pseudo à rallonge, les Silver Mt. Zion rajoutent un chapitre passionnant à leur grimoire expérimental.
The Silver Mount Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band : avec ce pseudonyme bavard, utilisé depuis leur deuxième album, c’est un peu comme si le groupe s’était défragmenté en trois formations parentes. Comme si «Memorial Orchestra» et «Tra-La-La Band» (!) avaient accepté de faire un split-album avec les pointures canadiennes du post-rock.
Fer de lance d’un post-rock qu’il pourrait phagocyter à lui tout seul, Silver Mt. Zion s’affiche donc officiellement en compagnie d’un Memorial Orchestra fantôme, qui aurait oublié jusqu’à la mission première et solennelle d’un tel orchestre, et d’un Tra-La-La Band, matérialisé par la présence récurrente de chœurs, tour à tour déclamés, hurlés, éructés ou susurrés par le groupe. Cette configuration pour le moins schizophrénique dessine une fois encore les prétentions tous azimuts d’un groupe touche-à-tout, chantres de l’expérimentation et grand groupe de rock de surcroît, réputé pour des shows aussi électrisés que déstabilisants.
Petite nouveauté depuis le précédent Horses In The Sky (2005), ce 13 Blues For Thirteen Moons – qui ne contient pas treize titres, quelle idée! – débute par douze courts interludes instrumentaux, de quelques secondes, enchaînés dans un même souffle de larsens. En revanche, les quatre titres phares placés à la suite de cette fantaisie conceptuelle, et qui motivent réellement l’achat de ce disque, avoisinent chacun le bon quart d’heure… canadien pour le coup.
“1’000’000 Died To Make This Song” s’affirme progessivement, introduite par des chœurs ésotériques, auxquels s’entrelace la voix de Efrim Menuck. Les pros de la tension crescendo s’en donnent une fois de plus à c(h)œur joie, jusqu’à l’explosion libératoire des guitares acides, et d’une section rythmique en béton armé. S’en suit alors huit minutes épiques, d’un rock aussi inspiré que tapageur, où l’on n’arrive pas à départager celui qui transpire le plus : le chanteur, qui s’égosille, la guitare qui suinte ou la batterie qui martèle méticuleusement nos tympans. Histoire de ne pas nous laisser pour morts dans le fossé – un « million de morts », c’est déjà bien assez pour une chanson – le groupe abaisse le voltage en clôturant avec des violons, des chœurs presque apaisés, et une inspiration tribale qui confère à Efrim l’aura magnétique d’un gourou en transe.
Impression confirmée sur l’éponyme “13 Blues For Thirteen Moons”, qui dépasse allègrement les seize minutes, et manque à plusieurs reprises de nous faire succomber à une crise d’apoplexie. Tonnerres de guitares, déclamations vocales monocordes et haut-perchées : seules quelques accalmies d’arpèges et d’un silence enfin bienveillant sont là pour nous épargner. “Black Waters Blowed/Engine Broke Blues” tentera de nous bercer, avec la gravité d’un violoncelle ou le chant radouci de Efrim, jusqu’à ce que plusieurs déflagrations de guitares, de percussions et de larsens mêlées viennent interrompre notre rêve – cauchemar ? – éveillé.
Le dernier titre, “BlindBlindBlind” – qu’on s’empresserait de rebaptiser “SourdSourdSourd”, après cette orgie de décibels – brille de cette touche d’humanité qui manquait presque aux titres précédents. Tout en apaisement, à peine écorchée par les aléas vocaux du chanteur, le groupe introduit quelques pizzicati de cordes, des nappes de violons, et des guitares plus sourdes, qui retiennent une tension palpable de leurs accords saturés. Un mini-acmé plus tard, le Tra-La-La Band qui ne s’en tient décidément pas à cette seule onomatopée, a le mot de la fin, avec une chorale minimaliste en modulations vocales.
Ce cinquième album, encore plus déroutant que ses prédécesseurs, confirme que Silver Mt. Zion a un sens aigu de l’agencement, une intelligence innée de la composition. Et plus que l’expérimentation extrême et parfois aveugle, ils choisissent la finesse d’un discours modulé qui interpelle nos nerfs autant que nos neurones.
– Le site officiel du groupe