Troisième épisode discographique d’un projet conçu pour subvenir au fonctionnement du Stone, le club de la scène downtown new-yorkaise dirigé par John Zorn, The Stone : Issue Three réunit aux côtés du prolifique saxophoniste, Lou Reed (guitare électrique) et Laurie Anderson (violon et machines), pour un concert avant-gardiste enregistré en comité réduit. Un set sobrement décomposé pour le besoin du disque en trois parties, elles-mêmes subdivisées en plusieurs mouvements au gré des improvisations mutuelles. C’est à Lou Reed que revient le privilège d’ouvrir les hostilités, d’abord en douceur, à base d’arpèges songeurs, de tâtonnements électriques, d’effets de pédales et d’amplification de plus en plus envahissants puis nerveux, spatialisés à gauche. Rejointe au bout de quelques minutes par le saxophone rugissant de John Zorn, situé à droite, la guitare chauffée à blanc, digne du Metal Machine Music de 1975, tient ensuite la note plus que de raison, enchaîne – ou plutôt déchaîne – une succession de riffs épais et rugueux au son des plaintes et autres soubresauts haletants de l’alto. Au deux tiers du morceau, Laurie Anderson rejoint le duo exténué, disséminant quelques bruitages et nappes sonores qui, tantôt recouvrent la surface de cette musique en train de se (dé)faire, tantôt ouvre l’espace en profondeur, alors que la guitare et le saxophone continuent de rôder comme des présences vagabondes. Encore plus intense, la seconde partie met de façon concomitante les trois forces en présence pour une acmé sonore irradiante où se manifestent des forces expressives d’une rare violence, non exemptes de beauté sauvage. Plus apaisée et centrée sur le travail sonore de Laurie Anderson, la troisième partie fait office de retour au calme, les décibels pleuvent moins qu’ils ne se répandent en fines particules, jusqu’à ce qu’ils soient de nouveau attisés par un ressac de larsens d’où émergent un mystérieux battement organique et d’incisives attaques pulsatiles du saxophone. Malaxée au son des instruments, 48 minutes durant, la matière musicale bouillonnante de The Stone : Issue Three met la frousse, subjugue, ravit, déroute, place l’auditeur au coeur d’un no man’s land musical subversif, qui n’est rien d’autre que la création à l’état pur.