L’axiome du folker hanté et solitaire se vérifie encore une fois : un premier disque lunaire bouleversant, enregistré dans l’isolement avec quelques rudiments. D’emblée, un coup de maître.


L’histoire n’est qu’un recommencement : les plus belles chansons naissent du silence d’une rupture. Après la belle triplette d’albums offerts par le suédois sédentaire Loney Dear l’année dernière, l’ermite désigné de ce début d’année 2008 est sans conteste Bon Iver (avec faute d’orthographe assumée). Alors qu’Emil Svanängen se montrait peu loquace, l’américain Bon Iver aka Justin Vernon, a une histoire à raconter : largué simultanément par sa petite amie et son groupe DeYarmond Edison, il décide, éprouvé moralement, de se retirer de la civilisation durant l’hiver 2006. Le solitaire trouve refuge dans une cabane de chasseur enfouie dans les profondes forêts du nord du Wisconsin. Là-bas durant trois mois, il passe son temps à méditer, chasser, couper du bois et – ah oui ! – enregistrer des chansons… « Rien de vraiment prémédité » selon ses dires, juste le besoin de renouer avec les choses simples (une petite pause le temps d’une publicité Herta).

De cette retraite naîtront ces neuf chansons, toutes dédiées à Emma, son bourreau du coeur, comme pour exorciser la douleur des sentiments, l’emprise des souvenirs qu’on ne se résigne pas à quitter… Mais contrairement à Christopher McCandless, le tragique vagabond d’Into The Wild, pris à son propre piège dans les filets de la nature, Justin Vernon en reviendra. De retour dans le monde des vivants en 2007, il presse 500 copies de son disque qu’il diffuse sur Internet. Le contenu, déchirant, s’avère exceptionnel. Le bruit court rapidement sur la Toile et le voilà signé en un rien de temps chez Jagjaguwar (Okkervil River) succursale de Secretly Canadian (Antony & the Johnsons, et bien d’autres merveilles…) et 4AD pour l’Europe, dont la sortie a été un peu retardée.

Les neufs folksongs de For Emma, Forever Ago sont livrées brutes, telles quelles, sans sparadrap de post-production, ni ajout de morceaux, et c’est là que réside le charme de cet album. Un disque cru de folk atmosphérique, seulement une voix perchée noyée de sanglots et une guitare sèche, toujours cette guitare, qui trimballe plein de fantômes. Avec si peu de moyens, Bon Iver accouche d’une montagne nappée d’un brouillard dense, cachant derrière des chansons fragiles hibernées. Cette reverb ample dont il use avec acuité devient l’instrument seigneur de l’album, s’infiltrant dans des choeurs liturgiques (“Lump Sum”), comblant les silences d’ondes mystérieuses, dessinant un relief bouleversant sur le rythme des cordes plaquées, frottées de la paume de la main.
Les mélodies sont naturelles, seulement dictées par l’essentiel, l’émotion. Chaque composition semble répondre à l’autre, se choyant les unes les autres comme pour atténuer le chagrin. Habillé de choeurs messianiques, “Creature Fear” communie avec le mysticisme des premiers albums de Leonard Cohen et Joseph Arthur. “For Emma” sonne les trompettes du crépuscule tandis que le banjo de “Skinny Love” traîne un poids qui semble peser une tonne. Et le meilleur pour la fin, la respiration “Re: Stacks”, où le falsetto aérien de Vernon atteint la transfiguration, prompt à fissurer n’importe quel coeur de marbre.

Tout n’est plus noir, mais marron, prétend le folker sur les versets de “Flume” (« Only love is all Maroon »). Nous dirons plutôt une couleur entre deux, d’ébène, celle-ci lui va si bien.

– Bon Iver sur Myspace

– Sur Virb.com