Sorti de l’oubli grâce à Ben Chasny, l’immense guitariste Peter Walker enregistre enfin un nouvel album studio, son troisième en quarante ans de carrière. Une splendeur acoustique qui le voit jouer des compositions flamenca en puisant dans les racines de la musique indienne.
Voilà quelque temps que l’on guettait la sortie de ce nouvel album de Peter Walker, annoncé ici même, il y a deux ans, lorsque nous avions consacré au guitariste américain un article conséquent suite à la sortie du disque qui le célébrait dignement, A Raga For Peter Walker, sur lequel ce dernier nous gratifiait d’ailleurs de quatre morceaux inédits. L’année dernière, le très beau live Spanish Guitar comblait déjà en partie notre attente et indiquait la nouvelle voie empruntée par le musicien, autrefois affilié à la scène psyché folk du Greenwich Village. En Espagne, devant une salle comble et médusée, Peter Walker déroulait en effet de patients et voluptueux arpèges évocateurs d’un flamenco virtuose, nourri de musique antique et de ragas indiens. Croisant en quelque sorte l’art de Paco de Lucia avec celui de Ravi Shankar (un de ses maîtres à jouer avec qui il a notamment étudié et perfectionné son jeu), le guitariste optait pour une orientation musicale totalement inspirée qui lui valu immédiatement la reconnaissance de la critique locale et surtout de la vieille garde flamenca de Äôs. Au point qu’il fut vivement encouragé à livrer une version studio de ce travail.
Enregistré à New York, Echo of My Soul est ce recueil riche de quatorze nouvelles compositions flamenca longtemps ruminées, décomposées et recomposées, qui attrapent le temps avec les doigts et attestent d’une musicalité à tout rompre. On savait les gammes d’accords andalouses s’apparenter à celles arabes, mais le rapprochement avec la musique indienne s’avère tout aussi légitime à l’écoute de ce troisième album de Peter Walker – et d’autant plus naturel si l’on considère, à l’instar de certains spécialistes, que l’origine géographique des Gitans se situe précisément en Inde. Comme l’indique encore le guitariste dans le livret, la problématique esthétique qui sous-tend son disque renvoie directement à une affirmation d’Ali Akabar Khan (second maître à jouer de Walker) : selon lui, les idiomes de la musique indienne seraient à l’origine de toutes les autres – point de vue assurément partagé par le musicien américain.
Moins avant-gardiste que ses albums parus dans les années 60, Echo of My Soul sonne volontiers « classique », mais dénote un engagement musical qui lève d’emblée toute forme de doute quant à une éventuelle fusion trans-genre aux accents scolaires. Magnifique d’un bout à l’autre, la guitare chantante de Peter Walker articule en un même geste, précis et libre, les occurrences stylistiques évoquées plus haut afin de créer de la beauté plutôt que d’illustrer sans ferveur un discours de musicologue. Il s’agit donc pour le guitariste de parcourir un large spectre musical afin de faire surgir la puissance mélodique d’un langage commun qui n’aurait rien d’un collage culturel, mais ouvrirait au contraire sur une série de combinaisons, de transformations, de déviations et d’émotions directement traduites en musique. Le morceau éponyme de l’album, situé à mi-parcours, résume ainsi à lui seul la démarche de Walker : plus qu’un morceau de flamenco joué à la manière d’un raga indien (tonalité marquée, combinaison de notes sonnantes, disparition du thème), “Eco De Mi Amar” réfléchit une profondeur musicale immémoriale tout autant qu’il irradie en surface un présent qui file vers l’inconnu.
Explicite ou implicite, le rapport qu’entretient le flamenco avec la musique indienne sur Echo of My Soul laisse place à une appréhension de l’espace et de la durée qui fait la part belle à un jeu bien plus imprévisible qu’il n’y paraît, capable comme l’a écrit José BergamÃn à propos du flamenco de « faire sa demeure dans l’âme, l’air, le temps, à jamais », glissant d’une orientation à l’autre sans volonté de les réconcilier absolument dans un même bain harmonique. Un procédé de condensation et d’étirement est ici à l’oeuvre, accentué par un picking modulé qui, tantôt confine à une souveraine lenteur, tantôt opère des échappées rythmiques extasiées. Au fil des morceaux, une étourdissante complexité se donne ainsi en toute simplicité, comme allant de soi, le caractère enjoué des compositions donnant lieu à une plénitude musicale somme toute spirituelle.
– La page MySpace de Peter Walker
– Le site de Tompkins Square